VIVRE AVEC LE VIH SIDA
Vivre avec le VIH-sida
Article écrit par Elyane Vignau / Journaliste / Revue Psychologie (2015)
On estime que 150 000 personnes vivent avec le VIH-sida en France en 2015. Grâce aux progrès des traitements anti-viraux, le virus n’est plus synonyme de condamnation à court terme pour les personnes atteintes. Pour autant, il continue d’affecter profondément leur vie quotidienne. Pas pour des raisons purement médicales, mais sociétales. Car c’est avant tout le regard que l’on porte sur les séropositifs et les discriminations dont ils font l’objet qui les pénalisent aujourd’hui.
Créée en 1984, l’association Aides entend réunir les personnes touchées directement ou indirectement par le sida afin de leur permettre de s’organiser face à ce fléau. (Plus d’infos sur : http://www.aides.org)
Dans les médias, dans la rue, parfois même dans les écoles, on parle moins du sida aujourd’hui. A tort ? Sans doute, car presque 30 ans après les premières descriptions de la maladie, l’épidémie reste très active. 40 millions de personnes seraient ainsi atteintes dans le monde (source Onusida), dont 150 000 environ en France. Dans notre pays, ce sont ainsi entre 6 000 et 7 000 nouveaux cas qui sont dépistés chaque année.
Qui sont les personnes touchées ? Majoritairement des hommes homosexuels, des migrants d’Afrique subsaharienne et, dans une moindre mesure, des usagers de drogue par voie intraveineuse. Si le premier groupe est hétéroclite – le sida touchant tous les âges et niveaux sociaux – les migrants et les usagers de drogue vivent souvent dans une grande précarité. Tous partagent toutefois un point commun : ils forment une population vieillissante, grâce aux progrès considérables des traitements anti-viraux ces dernières années. « Une personne qui a été dépistée et qui est soignée depuis peu peut avoir une espérance de vie similaire à celle de la population générale, assure Bruno Spire, président de l’association Aides et directeur de recherche à l’Inserm U 912. On voit ainsi émerger une nouvelle problématique : vieillir avec le VIH ».
Une maladie mieux maîtrisée
Apparus en 1996, les traitements anti-viraux – ces fameuses trithérapies devenues davantage aujourd’hui des multithérapies – ont bouleversé la vie des séropositifs, même si elles ne peuvent toujours pas les guérir. Les effets secondaires, notamment, très lourds les premières années, se font aujourd’hui bien moins gênants. Quant aux contraintes – il fallait autrefois les prendre plusieurs fois par jour à des horaires très précis – elles sont également considérablement allégées avec, pour certains, une seule prise quotidienne. « Les traitements sont plus puissants, mieux supportés et plus légers à suivre, explique Bruno Spire. La maladie est de plus en plus maîtrisée quand la personne a accès aux soins : on estime que l’on a aujourd’hui entre 85 et 90% de personnes en succès, contre à peine 55 à 60% dans les années 1990. Finalement, à part des cas particuliers – notamment la coinfection VIH-hépatite que l’on observe souvent chez les usagers de drogue et qui pose un vrai problème de prise en charge – la problématique médicale pourrait presque passer au second plan. »
Mais une maladie toujours stigmatisante
Car d’autres problématiques restent malheureusement d’actualité. Ainsi, si les séropositifs vivent plus longtemps, ils restent marginalisés dans une société qui n’arrive toujours pas à les accepter. « On ne peut pas dire à son voisin que l’on est séropositif, comme on lui dirait que l’on est diabétique ou asthmatique, résume simplement Bruno Spire. Le VIH est en passe de devenir une maladie chronique mais il ne sera jamais une maladie comme les autres, à cause de la représentation sulfureuse qu’en ont les gens. Les séropositifs vivent avec le stigmate – au premier sens du terme – du sida car ils sont vus comme des personnes qui ont fait quelque chose de mal. Historiquement – et c’est toujours en partie vrai – le VIH est lié à la toxicomanie et à l’homosexualité, qui sont déjà très mal vues. Sans parler des migrants… Le sida, en fait, viennent s’ajouter aux discriminations qu’ils connaissent déjà. »
Rejetés, marginalisés… les séropositifs doivent faire face à des conditions de vie qui demeurent souvent difficiles. En 2004, la première enquête VESPA avait justement pour but d’évaluer la qualité de vie des séropositifs. Sa première conclusion ? Ils sont bien plus touchés par la précarité. Une précarité qui est d’abord financière : plus du tiers d’entre eux avaient alors une invalidité reconnue qui les empêchait de travailler et les rendaient dépendants de prestations inférieures au seuil de pauvreté. Or la seconde enquête VESPA parue en 2013 souligne qu’en près de dix ans, la situation n’a guère évolué : « La situation sociale des malades n’apparaît pas avoir évolué au cours de la période 2003-2011. Avec 58,5% de personnes qui travaillent et 13% qui sont en recherche d’emploi, la population séropositive est marquée par un niveau d’activité très inférieur à celui de la population générale. Presque un tiers (31,5%) des personnes vivant avec le VIH ne parviennent pas à faire face à leurs besoins sans s’endetter et une personne sur cinq rencontre des difficultés à se nourrir au quotidien par manque d’argent. »
La peur du rejet, le poids de la solitude
En 2003, un homme sur 2 et une femme sur 4 atteint du VIH disait souffrir de solitude. 22 % rapportait avoir fait une tentative de suicide. Un malade sur 5 déclarait prendre un psychotrope tous les jours. (source : enquête VESPA). Mais cette précarité va bien au-delà de la seule dimension financière : que ce soit pour obtenir un emploi, un logement, pour être assuré ou parfois seulement pour voyager à l’étranger, les séropositifs sont souvent traités « à part ». En 2007, Sida Info Droit révélait que 8 malades sur 10 avaient déjà fait l’objet d’un événement discriminatoire, que ce soit dans le domaine professionnel, dans leur voisinage ou auprès de leurs proches, parfois au sein même de leur famille. Près de deux tiers d’entre eux racontaient ainsi avoir fait l’objet de rejet de la part d’un partenaire sexuel, d’un conjoint, d’un ami ou d’un membre de la famille.
Un chiffre fort qui est peut-être le meilleur indice de ce que sont aujourd’hui leurs plus grandes souffrances : les difficultés relationnelles, la peur du rejet et la solitude, surtout. « Sur le plan physique, les patients vont mieux. Mais d’un point de vue psychologique, les problèmes demeurent. Le plus dur pour eux ? Devoir dire leur statut sérologique à leur entourage familial, amical et professionnel. Un entourage qui n’est pas prêt, en général, à entendre le diagnostic. »
Des espoirs pour le couple
Comment dire que je suis séropositive ? Une question difficile pour toutes les personnes atteintes. Retrouvez la réponse de notre expert Christophe Fauré. Comment annoncer son statut sérologique à son partenaire ? Comment aimer et faire l’amour sans craindre de transmettre la maladie ? Comment fonder une famille sans faire courir de risque à l’autre, ni à l’enfant ? Autant de questions qui continuent de tarauder les personnes séropositives et, pour beaucoup, de les isoler. « Certains, dont une majorité de femmes, ont carrément renoncé à toute vie affective et sexuelle tant ils ont peur de transmettre le virus. D’autres préfèrent se cantonner à des séropositifs pour éviter tout risque. En tout, c’est un tiers des patients environ qui rapporte connaître des difficultés d’ordre sexuel. »
Mais sur ce point encore, les traitements apportent un réel espoir pour l’avenir. « Un rapport paru en Suisse en 2008 a complètement changé la donne en avançant que dans le cadre d’un couple hétérosexuel et sérodifférent, le risque de transmission est résiduel si la personne positive prend un traitement efficace », résume Bruno Spire. Une petite révolution puisque le couple peut dans ce cas se passer de préservatif. « Au-delà de la contrainte que cela lève sur leur vie sexuelle, ce rapport a surtout permis de libérer la parole. Les patients peuvent dire aujourd’hui la difficulté d’annoncer la séropositivité à son partenaire, de devoir toujours mettre un préservatif, de craindre un éventuel accident. »
Pouvoir fonder une famille
Libérés de la peur envahissante de transmettre la maladie à leur conjoint, certains malades découvrent une vie affective et sexuelle plus sereine et s’autorisent à se lancer dans un projet parental. « Il y a quelques années encore, concevoir un enfant pour un couple sérodifférent était extrêmement compliqué. Du début de l’épidémie aux années 1990, la problématique était balayée par les médecins qui disaient simplement à leurs patientes « vous ne pouvez pas faire de bébés. Impossible ! », rapporte le président d’Aides. Ensuite, on a développé toute une série de techniques pour empêcher de transmettre le virus à l’enfant, selon si c’était la mère ou le père qui était porteur du VIH. Aujourd’hui, comme le souligne le rapport suisse, ces techniques ne sont plus utiles, les risques de transmission deviennent minimes pour une personne séropositive en traitement. »
C’est donc débarrassés de ce poids psychologique que les personnes séropositives peuvent aujourd’hui envisager de vivre en couple et même pour ceux qui le souhaiterait de fonder une famille. Sont-ils plus nombreux aujourd’hui à se lancer ? Il est sans doute trop tôt pour le dire mais c’est un réel espoir pour l’avenir.
Demain, un monde sans sida ?
Alors demain, vivra-t-on mieux avec le sida ? Pour Bruno Spire, la question n’est pas là : « Nous devons prendre conscience que ce ne sont plus, aujourd’hui, les séropositifs qui transmettent la maladie mais les séroinconnus. Des personnes qui ignorent être atteintes du VIH et qui continuent à se comporter en séronégatifs. L’important, maintenant, est de savoir que l’on peut arrêter l’épidémie avec une politique globale. Comment ? En réduisant le pool de ces séropositifs qui s’ignorent en leur donnant envie de se faire dépister. Ce qui signifie, pour les publics à risque, de dédramatiser le geste du dépistage, en poursuivant sur le terrain des campagnes d’information et de prévention. Mais cela implique aussi agir auprès du grand public, en éduquant la population à l’acceptation de la différence, de la séropositivité. En un mot, à apprendre à ne plus traiter les séropositifs en pestiférés ! »
Mais pour vaincre le sida, il faudra obligatoirement aller bien au-delà de nos frontières, dans les pays les plus touchés où l’accès au dépistage et aux soins est encore loin d’être garanti. « Pourtant, si les pays riches tenaient leurs promesses en termes d’aide, conclut Bruno Spire, il n’y aurait plus de VIH d’ici une trentaine d’années. »
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