VIOLENCE CONJUGALES ET RECONSTRUCTION IDENTITAIRE
VIOLENCE CONJUGALES
Article écrit par Norbert Zerah sur son Blog (psychologue clinicien) – 31 juillet 2009
Des victimes en perte d’identité
Norbert Zerah, montre dans son article, comme la question des violences conjugales est un point d’interrogation considéré comme vital et fondamental par l’ensemble des professionnels qui travaillent dans l’accompagnement des personnes victimes de violences conjugales.
Dans son article, il cherche à montrer comment la construction identitaire des victimes est une étape indispensable pour permettre un retour à une vie plus sereine et plus apaisée.
A partir d’une pratique de psychologue clinicien, il tente de répondre à l’ensemble des questions qui se posent lorsque la violence conjugale survient. Il indique, dans ce sens, qu’être « le témoin » de violences conjugales (les enfants par exemple) doit être considéré comme une victime de premier ordre, au regard des troubles qu’il porte en lui, sa vie durant.
Il est entendu que la violence conjugale n’est pas un vain mot. Le mépris, le dénigrement, le harcèlement, les insultes et les coups sont des procédés qui détruisent ce qu’une personne a mis si longtemps à développer : son identité.
La victime s’entend dire :
- « qui suis -je ? »
- « Que suis -je? »
- « Suis-je encore quelque chose à mes propres yeux ? »
Dans les moments difficiles que chacun traverse dans la vie, on peut toujours se raccrocher à soi-même ou à quelque chose de soi pour lutter et vivre, mais là, cela semble impossible, dans la tourmente de la violence répétée, de la perte de l’identité.
Déconstruction et reconstruction identitaire
N. Zerah montre que le modèle du développement psychologique de l’enfant peut fournir une compréhension de ce qui se joue.
Chez l’enfant, l’aventure identitaire passe par le développement du narcissisme (dont l’origine est l’amour des parents envers l’enfant), la reconnaissance de soi (affirmation du « je » dans son rapport avec les autres) et l’image de soi (un composé de ses caractéristiques personnelles).
Voici les substrats que la violence conjugale remettra en cause jusqu’à faire revenir les victimes à un stade de régression dont elles auront le plus grand mal à sortir par la suite. Il s’agit là d’une véritable déconstruction identitaire.
1/ Le narcissisme : qu’il paraît loin le temps où la femme jubilait devant son image reflétée dans le miroir ! Elle s’aimait alors parce qu’elle se sentait aimée. Le harceleur, le violent dans son refus de l’autre, conduit sa victime à se mépriser, à se détester, à se haïr :
- « tu me répugnes et me dégoûtes »,
- « tu es laide »,
- « tu ne vaux rien » lance-t-il à à l’adresse de celle qu’il aimait jusqu’alors.
Un basculement insupportable, incompréhensible.
Que s’est il donc joué là en l’espace de quelques mois ?
Nous sommes loin du regard tendre, affectueux et amoureux porté vers l’objet de tous les désirs. Le narcissisme s’effiloche et les blessures surviennent car c’est le regard du refus et de la haine qui prime. La femme ne sent plus aimée, entre dans la mésestime d’elle- même.
2/ La reconnaissance : la violence conjugale est une partie qui se joue à un seul, qui nie toute affirmation de soi chez sa victime.
Il n’est pas question que celle-ci se reconnaisse comme un être unique qui s’est forgé, grâce aux relations avec les autres, un sentiment d’identité.
Par ses actes répétés, le conjoint écrase le déploiement d’un « Je », signe de la reconnaissance de soi par soi et par l’autre également. Autrement dit, toute reconstruction identitaire de la victime passe par la reconquête de ce pronom inaugural d’une nouvelle vérité : « JE refuse que tu portes la main sur moi ! »
La non reconnaissance prend appui sur le déni du nom, du prénom.
Dans les moments de crise intense, le violent ne nomme pas, il distribue d’innombrables qualificatifs (« salope », « petite conne », « grosse merde », etc) dans le but de dévaloriser sa compagne, mais aussi de lui enlever toute reconnaissance identitaire.
Car comment chacun peut-il se reconnaître, d’emblée, comme étant une personne, sinon par son prénom ?
N. Zerah indique qu’il a remarqué, en présence de couples en difficulté, qu’ils parlaient d’eux sans jamais utiliser le prénom de celui ou celle qui partage leur vie. Ils s’exprimaient en disant « elle fait ceci ou cela ». Attitudes que l’on retrouve dans leur vie sociale !
3/ L’image de soi : disqualifiée par un long travail de sape de la part de celui qui entend faire régner sa loi, exercer sa puissance, la victime a le plus grand mal à s’attribuer encore quelques qualités personnelles.
La honte, la culpabilité ont effacé les conquêtes laborieusement obtenues depuis la petite enfance. Le regard que la victime a d’elle-même s’est trouvé, à force d’injonctions et de sarcasmes, complètement modifié. Comment résister et ne pas perdre confiance en soi à l’écoute du martèlement sémantique auquel se livre l’auteur de violences, comme « tu ne vaux rien! » « tu n’as jamais rien fait dans ta vie! » « Tu n’es pas capable de…etc « .
Processus de déstabilisation continue qui conduit bientôt la victime à se déconsidérer, à se dévaloriser. La perception qu’elle a alors d’elle-même a changé. Elle consent à avouer qu’elle n’est rien. Elle n’est rien.
Toute implication des femmes dans une reconstruction identitaire devrait semble-il objectiver la déconstruction marquée par ces trois moments (le narcissisme, la reconnaissance de soi et l’image de soi). Et ceci en soulevant avec la victime le questionnement approprié à peu près en ces termes :
- Qu’ai je perdu de moi, de ce qui as fait mon identité jusqu’alors, avant la destruction ?
- Qu’est ce qui été atteint en moi et qui faisait le socle de mon identité ?
- Qu’est ce qui m’a constituée et qui m’a permis d’être ce que je suis en tant qu’être humain ? »
Le processus de reconstruction identitaire va revisiter ainsi un parcours de vie rattaché à une histoire singulière. La constitution d’un sujet….. et son naufrage.
Afin trouver des ressources et rebâtir les fondations identitaires, laminées par la violence conjugale, il faut bien analyser la nature de ce qui est atteint, attaqué, ravagé de toutes parts chez la victime.
Quelques thèmes généraux de travail ont été abordés ici afin de donner des pistes aux professionnels : narcissisme, reconnaissance et image de soi. Mais j’ai pu constater lors de mon travail de psychologue, que les dégagements opérés par les victimes prennent plus de temps selon au moins trois facteurs :
- l’origine sociale,
- l’éducation,
- et le statut professionnel.
Et toute implication au regard d’une reconstruction identitaire (indispensable pour retrouver une vie normale) peut s’en trouver accélérée ou ralentie
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