152016Sep

Comment (et pourquoi) on devient droitier ou gaucher

Comment (et pourquoi) on devient droitier ou gaucher

R GILLIAN FORRESTER*, THECPAONVERSATION.COM

Publié le | Le Point.fr

Affiche du film-documentaire de Nicolas Philibert, "Etre ou avoir" (sorti en 2002).

La préférence qu’affirment les enfants pour l’une ou l’autre de leurs mains, dans l’écriture, traduit une étape importante de leur développement cérébral…

En grandissant, les enfants développent une préférence marquée pour l’une de leurs mains quand ils veulent accomplir certaines tâches, en particulier pour écrire ou dessiner. L’enfant devient droitier, gaucher ou ambidextre à peu près à l’âge où le langage est considéré comme acquis – vers quatre ans –, et cela reste une de ses caractéristiques à vie.

Nous savons désormais que la préférence manuelle de l’enfant permet de mieux connaître le fonctionnement et l’organisation de son cerveau. L’hémisphère gauche et l’hémisphère droit du cerveau contrôlent en effet les fonctions motrices de chaque côté du corps, de façon inversée. Pour autant, les deux moitiés du cerveau n’exercent pas un contrôle identique sur les différents comportements physiques ; c’est pourquoi une des deux mains est préférée à l’autre pour l’exécution de certaines tâches. La prédominance d’un hémisphère sur l’autre pour exécuter certains gestes est nommée latéralisation cérébrale.

Les scientifiques pensent que ce fonctionnement latéralisé du cerveau sert à éviter que les deux hémisphères entrent en compétition, puisqu’un seul des hémisphères contrôle tel mouvement. Mais cela permet aussi à des processus aussi différents que le langage et l’attention de se lancer en parallèle dans les deux hémisphères.

Une division (cérébrale) du travail

Chez la plupart des gens, c’est l’hémisphère gauche qui contrôle le langage. Et c’est la même région de l’hémisphère gauche qui contrôle les mouvements des mains. C’est pour cela que presque tous les humains (environ 90 %) sont droitiers quand ils utilisent des outils ou qu’ils font des gestes. Les psychologues de l’évolution pensent que l’usage des outils et les gestes ont joué un grand rôle dans l’évolution du langage. Selon eux, comme la vision est notre sens le plus fort, nous avons commencé à communiquer en faisant des gestes. Puis il est devenu plus efficace de garder nos mains libres pour manier des outils, et le langage a pris le relais. Les séquences gestuelles qui servaient à fabriquer et à utiliser des outils ont ainsi pu préparer le cerveau à intégrer la structure du langage.

Pour acquérir des compétences complexes comme le langage, les petits doivent d’abord maîtriser des facultés sensorielles et motrices basiques. Pour les psychologues du développement, cette capacité à utiliser les gestes et à manipuler des objets prépare le terrain à l’acquisition des systèmes nécessaires au développement du langage.

Main droite, main gauche, ou les deux ?

Les scientifiques de la première moitié du XXe siècle considéraient le fait d’être gaucher comme une anomalie et l’associaient à une série de dysfonctionnements – déficits de langage, maladies mentales. De fait, de nombreux gauchers nés à cette époque étaient forcés d’écrire avec leur main droite, dans l’espoir de les « convertir » en droitiers. Aujourd’hui, nous savons que le fait d’être droitier ou gaucher n’est pas une caractéristique binaire (d’un côté, les gauchers, de l’autre les droitiers), mais qu’il existe une sorte de graduation, du gaucher absolu au droitier absolu, avec une foule de degrés entre les deux.

Quand ils développent leurs capacités motrices, les enfants utilisent indifféremment leur main droite et leur main gauche pour attraper des objets, car leurs deux mains peuvent facilement exécuter ces tâches. Cependant, les tâches plus spécifiques exigent l’intervention « spécialisée » de l’hémisphère gauche du cerveau. C’est pour cela que la plupart des enfants utilisent leur main droite pour écrire. Les capacités d’écriture se développent au fil du temps et l’usage de la main droite se confirme tandis que l’enfant apprend à tenir son stylo, passant d’une « prise palmaire » pour tracer de premières formes sur une page à une « prise tripode » (à trois doigts) qui lui permet de former des lettres et de les relier. Observer comment un enfant s’y prend pour écrire nous indique ainsi où en est le développement des processus spécialisés dans son cerveau.

Les recherches les plus récentes montrent que les enfants qui sont « franchement » gauchers ou droitiers ont une bonne latéralisation cérébrale et n’ont aucune difficulté avec le langage. En revanche, les enfants ambidextres (c’est-à-dire ceux qui utilisent indifféremment les 2 mains pour écrire) se heurtent à plus de difficultés dans le développement du langage et de la motricité.

Les ambidextres représentent 3 à 4 % de la population générale. Chez les enfants souffrant de troubles du spectre de l’autisme (TSA), ce chiffre atteint 17 à 47 %. Les enfants souffrant de TSA commencent à rencontrer des difficultés motrices dès l’âge de 7 mois. Cela tend à prouver que ce type de troubles peut être détecté très tôt chez l’enfant, et qu’ils peuvent avoir des répercussions sur des fonctions cognitives aussi importantes que le langage.

La préférence manuelle, à quoi ça sert ?

La recherche que je mène actuellement vise à comprendre comment la préférence manuelle des enfants peut servir à évaluer le risque de développer des troubles du langage. Les diagnostics de TSA sont généralement posés assez tard, quand on constate que l’enfant ne parvient ni à parler ni à comprendre des choses basiques. Ces diagnostics tardifs sont préjudiciables aux enfants, qui pourraient bénéficier de thérapies et d’interventions médicales plus tôt dans leur vie : le cerveau des nourrissons est incroyablement flexible, et s’ils recevaient les soins appropriés à temps, cela profiterait à leur développement cognitif et à leur santé mentale.

La préférence manuelle est un exemple parmi d’autres de latéralité sensori-motrice chez l’humain. Par exemple, la plupart des gens utilisent leur hémisphère droit quand ils doivent réagir à un danger. Cela signifie que nous reconnaissons plus facilement les expressions et les visages menaçants quand ils apparaissent dans notre champ visuel gauche plutôt que dans notre champ visuel droit. Une série d’expériences classiques montre ainsi que les adultes reconnaissent plus facilement les émotions négatives sur des photos de visages quand elles leur sont présentées par la gauche plutôt que par la droite.

En cartographiant les chemins de développement des biais sensori-moteurs et des facultés cognitives chez les enfants, nous comprenons de mieux en mieux les relations entre l’organisation du cerveau, les fonctions cérébrales, et le comportement.

*Gillian Forrester est maître de conférence en psychologie à l’université de Westminster (Royaume-Uni).




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