La boulimie
L’Anorexie est un trouble du comportement alimentaire (TCA) qui touche essentiellement les femmes. Si celles qui souffrent d’anorexie tentent de construire leur force dans le rejet de la nourriture, les boulimiques, au contraire, compensent leurs souffrances et le vide en elles par les aliments. Une fois “remplies”, elles ne trouvent pourtant plus qu’un seul moyen de se libérer : vomir. Un cercle infernal dont il est très difficile de sortir sans aide.
Tout commence souvent par un simple régime. La jeune femme, âgée dans la plupart des cas entre 18 et 25 ans, se trouve un peu trop grosse. Elle souhaite perdre quelques kilos. Alors elle mange moins, élimine les aliments trop gras, trop sucrés. Mais la restriction est trop difficile, elle craque. Elle se jette sur une barre chocolatée, puis deux, puis trois. Plus forte a été la privation, plus violente est la crise. Et l’on comprend alors pourquoi un tiers des anorexiques, qui elles ont pratiquement cessé de s’alimenter, glissent un jour vers la boulimie. « Dans une sorte de sauve-qui-peut, elle se gave, explique Daniel Rigaud, nutritionniste spécialiste des TCA. Elle se remplit en même de temps de nourriture, d’effroi, de culpabilité, de honte, puis se soulage presque immédiatement, parce qu’il est tout à fait impensable de garder tout cela à l’intérieur. » Et elle vomit. Elle pense alors avoir trouvé une porte de sortie. Mais c’est un leurre, un piège. Celui de la boulimie.
Reconnaître la boulimie
La manifestation la plus évidente de la boulimie est la crise alimentaire, ce besoin irrépressible de manger beaucoup et en un temps restreint. Sans aucune limite, sucré comme salé, et dans l’anarchie la plus totale.
« La crise de boulimie n’est pas un repas, ajoute Daniel Rigaud. Pas le temps de cuisiner ni de mettre le couvert. Il faut se remplir, un point c’est tout. » C’est une pulsion, un besoin systématique et tyrannique. Tout comme le drogué face à la drogue ou l’alcoolique face à l’alcool, la boulimique agit de façon irraisonnée face à la nourriture. Elle perd le contrôle d’elle-même. Jusqu’à ce que son estomac et sa gorge endoloris l’empêchent d’avaler quoi que ce soit de plus.
C’est alors que survient ce que l’on nomme « l’état de conscience ». La jeune femme doit alors cesser de manger, à regrets. Elle se retrouve face à son “champs de bataille”. Tout autour d’elle, des paquets de gâteaux vides, des boîtes de conserves, des emballages divers. Autant d’aliments prêts à l’emploi qu’elle a avalé les uns après les autres. Souvent, elle se met à pleurer, elle se dégoûte, se sent honteuse et coupable. Elle pense aux calories qu’elle vient d’ingurgiter, aux kilos qu’elle va prendre.
Alors, elle se fait vomir. Se libérant ainsi physiquement et psychologiquement de la crise. Une sorte de remise à zéro des compteurs qui ne lui indique qu’une chose : elle pourra recommencer demain. Et c’est ce qu’elle va faire, jour après jour. Parfois même à raison de plusieurs crises dans une même journée. Pour être sûre d’avoir tout éliminé et dans un souci de perfection, elle va user, voire abuser, de laxatifs et de diurétiques. « Et comme dans l’anorexie mentale, note Daniel Rigaud, tout naturellement, l’hyperactivité physique aidera certaines malades à se rassurer face à la peur du poids à prendre. »
Les crises sont impressionnantes. Pourtant, il n’est pas rare que les proches mettent du temps avant de se rendre compte de quoi que ce soit. Garder le secret est un enjeu capital pour la malade. De peur que quelqu’un puisse venir entraver le seul remède qu’elle semble avoir trouvé à ses souffrances, elle met en place divers stratagèmes pour ne pas être démasquée.
La manipulation et la dissimulation sont les composantes essentielles de la boulimie. Derrière un masque et un sourire trompeurs, la boulimique cache son mal-être et ses faiblesses. Elle connaît l’emploi du temps de ses proches sur le bout des doigts et s’arrange pour être toujours seule au moment des crises, enfermée à l’abri des regards. Dès que la crise est passée, elle en efface toutes les traces : paquets et boîtes vides, odeurs dans les toilettes…
Impossible donc de confondre la boulimique et la simple gourmande. La première n’éprouve aucun plaisir à manger. Elle ne fait que se gaver. Son acte, violent, destructeur et incontrôlé, est seulement le moyen de défense qu’elle a trouvé contre cette sensation de vide qui s’empare d’elle.
Comme dans la plupart des autres troubles du comportement alimentaire, elle manque de confiance, d’estime de soi et se sent faible. Elle rejette l’image féminine et souffre d’une peur très forte d’être jugée par autrui. Autant de signes qui montrent à quel point sa souffrance se trouve bien au-delà de son rapport à la nourriture.
Comprendre son origine
Nombreux sont les spécialistes qui s’accordent pour dire que la boulimie est une dépendance à la nourriture comparable à celle dont souffrent les toxicomanes ou les alcooliques. Dans une démarche similaire, cette dépendance est bien souvent utilisée comme pansement. Elle a pour objectif de venir soulager une souffrance, d’apporter un certain réconfort, un temps pendant lequel on oublie tout le reste, pendant lequel plus rien n’a d’importance. Mais une différence de taille subsiste : contrairement à l’alcool et à la drogue, la nourriture est partout, disponible à foison, accessible à tous. Et surtout, elle est, paradoxalement, indispensable à la vie
Mais comment expliquer que certaines jeunes femmes sombrent dans la boulimie et d’autres non ?
Il est, aujourd’hui encore, impossible de savoir avec exactitude pourquoi certaines sont plus vulnérables que d’autres. Longtemps, des difficultés relationnelles entre les mères – ou les parents nourriciers – et leurs filles ont été incriminées. Mais l’on sait à présent que les troubles du comportement alimentaire relèvent tous d’un faisceau de causes multiples et croisées, où la génétique, la nutrition, le psychique, ou encore la société ont tous un rôle à jouer. La culpabilité de l’entourage n’est donc plus systématisée. Néanmoins, leur implication reste parfois bien réelle, notamment dans le déclenchement du trouble. Car si ce dernier survient parfois à l’issue d’un régime, il peut aussi être encouragé par :
– la pression d’une mère en proie à ses propres problèmes alimentaires. C’est notamment le cas des femmes orthorexiques, complètement obnubilées par le dogme de l’alimentation (manger sain, équilibré, léger…).
– la remarque blessante d’un père (mais aussi d’un frère, d’un ami, d’un camarade d’école) sur le poids ou la silhouette de la jeune femme.
– une rupture sentimentale, un traumatisme (sexuel dans de nombreux cas)…
Quant à leur jeune âge et à leur sexe, il s’explique notamment par la grande fragilité des adolescentes, due en partie à la difficulté pour ces jeunes filles d’appréhender leurs nouvelles formes, de devenir une femme en même temps que ce corps qui se transforme de manière manifeste. Le tout sur fond de pression sociale, de culte du corps et de diktat de la minceur.
La prise en charge thérapeutique
Une fois alertés par l’attitude de leur fille ou de leur amie et conscients des dangers auxquels celle-ci s’expose, les parents et les proches des jeunes boulimiques sont souvent confrontés à une réelle difficulté : la convaincre de se faire soigner. Plus ils seront informés sur le trouble, plus ils seront à même de le comprendre et donc de venir en aide celle qui en a besoin. D’où l’intérêt de prendre les devants avant même d’en parler avec leur fille ou leur amie. Ensuite, ils pourront se tourner vers un spécialiste qui pourra les soutenir.
Il est souvent nécessaire de forcer la malade à consulter, contre sa volonté. Car si les boulimiques peuvent sembler moins en danger sur le plan physique que certaines anorexiques au corps décharné, elles n’en souffrent pas moins de carences et parfois de pathologies (cardiaques, rénales…) qui les mettent en péril. Une hospitalisation est parfois même envisageable.
La prise en charge passe ensuite par un travail axé sur trois approches :
– nutritionnelle (retrouver et maintenir un poids normal, avoir des apports énergétiques normaux, renouer avec les aliments tabous…)
– comportementale (se nourrir de façon apaisée, sans peur ni obsession, apprendre à exprimer ses émotions autrement qu’à travers la nourriture…)
– psychologique (exploration des causes profondes du trouble, travail sur l’estime de soi, sur le regard d’autrui, les culpabilités…).
Ce travail ne peut se faire qu’avec l’aide de praticiens spécialistes des troubles du comportement alimentaire, qu’ils soient nutritionnistes, diététiciens, psychiatres, psychologues… et le choix des approches est vaste : thérapies psychanalytiques, psychocorporelles, comportementales et cognitives, hypnose…
En complément, les groupes d’entraide et de paroles ont fait leur preuve dans ce genre de troubles. Ils sont un lieu d’échange privilégié pour les malades, mais aussi pour celles qui s’en sont sorties et viennent témoigner de cette lueur d’espoir indispensable, celle de la guérison.
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