La famille incestuelle
La famille incestuelle
Ariane Clément « Le fil Retrouvé »
Cet article est une synthèse sur le sujet, intégrant des éléments soulignés par le livre de Paul Claude Racamier : « L’inceste et l’incestuel ». Paul-Claude Racamier, nous décrit l’incestuel comme « un climat où souffle le vent de l’inceste, sans qu’il y ait inceste »
Ce climat dans la famille d’un consultant se ressent en thérapie de par son parfum à la fois « gluant » et interdisant toute vérité. Mais rentrons un peu plus dans le domaine en commençant par sa forme la plus destructrice : l’inceste.
L’inceste : la destruction suprême, pas toujours facilement détectable
L’inceste n’est pas toujours facilement identifiable. Il ne se dévoile parfois qu’après des années de thérapie, surtout lorsqu’il a été vécu dans des âges du préverbal. Parfois le doute subsiste car les rêves tournent autour sans donner une image claire de l’événement d’origine, du fait de la non capacité de symbolisation du petit être victime au moment des faits.
La personne peut rêver d’insectes rampants en lien avec un lieu intime, d’enfants ayant été violés, de personne rentrant dans un lieu d’intimité (toilettes, chambre, salle de bain) pendant qu’elle s’y trouve, voire même d’un abus avec son propre enfant (déplacement).
Attention, ces rêves ne signifient pas systématiquement qu’il y a eu inceste, c’est un ensemble de signes et de rêves divers et variés qui permettent cette reconnaissance lors de la thérapie. Parfois il s’agit d’un film ou d’un livre qui fait ressortir les sensations corporelles enfouies ou une discussion en thérapie.
L’inceste est un traumatisme pour le corps et une « disqualification » pour la psyché, l’inverse de la reconnaissance.
Une pure et simple négation. Le parent du sexe opposé est souvent complice de manière inconsciente en ne voulant pas voir. Parfois cela peut aller plus loin dans des cas rares de couples pervers.
L’inceste est plutôt le fait du père et l’incestuel de la mère, ceci restant toutefois des généralités.
L’incestuel : là ou souffle le parfum de l’inceste sans passage à l’acte
Une séduction narcissique qui ne prend pas fin et se mêle à la séduction sexuelle
La séduction narcissique est nécessaire entre une mère et son enfant.
Toutefois certaines mères, portant un vide intérieur, vont prolonger cette relation dans le temps et l’enfant devient alors « un miroir pour la mère avide de séduction narcissique ».
« Quand la séduction narcissique primaire réussit elle se dissipe et devient un terreau fertile pour le moi ».
C’est parce que cette séduction narcissique a échoué et que la mère n’arrive pas à donner de la tendresse qu’elle va surinvestir l’enfant. Cette mère semble dire : « Ensemble nous nous suffisons et n’avons besoin de personne », « ensemble et soudés nous triompherons de tout, si tu me quittes je meurs ».Les attentes de la mère l’emportent sur celles de l’enfant qui devient son objet. L’objet incestuel (l’enfant) est investi tel une idole, qui doit illuminer et l’enfant idolâtre sa mère à son tour. C’est cela qui est tellement trompeur : l’enfant peut confondre cette « ligature » avec la tendresse alors même qu’il n’a aucune idée de ce qu’est la tendresse et n’en a jamais reçu.
Il peut même plus tard s’en vouloir d’avoir des sentiments ambivalents pour cette mère qui l’a soi-disant « tant aimé » voire s’est sacrifié pour lui alors que c’est parce que le parent est distant et rejetant qu’il veut son enfant captif.
La construction incestuelle est « une carapace érigée contre l’ absence ou la précarité des émois tendre : une absence que toute tentation tendre ne peut que rendre encore plus effrayante et plus douloureuse ».
La barre des générations est à la fois reconnue et zappée dans ce lien, ce qui crée une forme de clivage.
L’incestuel comme perturbateur de l’Œdipe. L’incestuel empêche l’Œdipe d’accomplir sa tâche séparatrice et constitutive d’un moi séparé. L’Oedipe favorise les fantasmes et les désirs chez un individu, sa résolution permet à l’enfant de s’autoriser à créer et à avoir une vie sexuelle en dehors du système familial.
L’incestuel est mort du désir et non autorisation à déployer ses ailes.
Il crée un « surantimoi » destructeur et sacrificiel quand l’Oedipe débouche sur un « surmoi » constructeur.
« Le surmoi de l’Oedipe interdit et protège ». Le surantimoi se développant dans le contexte incestuel « vise le moi dans ses forces vives », il présente la vérité comme une faute, la pensée comme un crime et les secrets comme intouchables ».
Les formes de l’incestuel : exemples
Le parent incestuel voit souvent d’un mauvais œil son enfant grandir. Il acceptera ses relations amoureuses à condition qu’il sente qu’il pourra continuer à avoir une main mise sur l’adolescent ou l’adulte à travers le conjoint. Si le conjoint ne rentre pas dans le jeu, le parent risque de tout faire pour stopper la relation.
La relation incestuelle peut aller jusqu’à une intervention sur le corps de la victime (mères imposant des régimes ou obligeant à des opérations de chirurgie esthétique). Le parent incestuel a tendance à chercher à évincer l’autre parent afin de pouvoir régner en maître. Il pourra même remonter les enfants contre son conjoint ou sa conjointe ou faire en sorte qu’il le ou la considère comme inexistant (e).
Parfois même, la femme se vante d’avoir choisi son mari uniquement pour faire des enfants. L’autre parent laisse faire, souvent par faiblesse, parce qu’il vient aussi d’un tel système, parce qu’il n’arrive pas à couper le lien ou parce que ça l’arrange.
Les enfants peuvent lui attribuer le mauvais rôle par sa non présence.
La famille incestuelle met en circulation des « équivalents d’inceste » :
- objets matériels (argent…)
- activité ritualisée (alcoolisme, prostitution)
- symptôme : production délirante
- manipulation entre autre sur le personnel thérapeutique
Ils sont là pour à la fois cacher et exhiber le secret, c’est la tout le paradoxe de ces familles.
La notion de paradoxe est très importante dans ce lien qui « rend fou ». Ainsi l’enfant peut-il ressentir comme une voix lui dire « réussi et fait glorifier la famille et en même temps ne te déploie pas, reste avec moi, ne réussi pas mieux que moi, porte mon malheur ». Car la mère incestuelle peut aussi demander à l’enfant de porter sa dépression.
La victime doit se tenir immobile et ne pas avoir d’intentions personnelles pour être aimée. Toute envie personnelle génère une culpabilité souvent soulignée par le parent, de manière plus ou moins explicite (les « scuds énergétiques » peuvent être très forts chez ce type de parent).
Dans certaines familles incestuelles tout le monde se promène nu et les parents obligent ainsi les enfants à rentrer en contact avec leur intimité et à montrer la leur.
Les parents ne respectent pas le territoire de la chambre de l’enfant et peut même aller jusqu’à lire ses lettres ou son journal intime.
A l’origine des familles incestuelles : le double secret de famille
Une relation incestuelle prends naissance dans une famille incestuelle qui, elle même, porte des secrets de famille ayant trait à la mort et à la transgression. La famille pullule parfois de deuils non faits et possède souvent un inceste caché. C’est une famille dont l’outil principal est le déni, dans laquelle la vérité est interdite ainsi que le plaisir.
Dans notre évolution, il y a les secrets qui favorisent l’imaginaire et permettent à la personne de délimiter son territoire, appelés secrets libidinaux (journal intime). Il en est d’autres, comme ici, appelés secrets « antilibidinaux » qui portent un parfum de honte et de mort et empêchent de penser et d’imaginer.
Les conséquences du climat incestuel
Le brouillard et le manque de désir
Ce climat crée un brouillard, lié aux nombreux amalgames et paradoxes et aux dénis portés sur les inconscients. Le consultant peut avoir l’impression de ne pas savoir qui il est ni où il va. Il manque d’élan et de désir puisqu’il n’a pas pu vivre la phase de fantasmes de l’Oedipe.
La honte et la culpabilité
Certaines personnes sont porteuses de la honte familiale. Elles portent en elle aussi une forte culpabilité, qui ressort quand elles cherchent à prendre leur envol. Toute autonomie est punissable pour leur inconscient. Elles se doivent de rester enfermées dans le giron de la famille et du parent incestuel.
Les problèmes de poids et de nourriture
Le corps se protège de l’intrusion en se faisant soit sans forme soit trop gros (surtout dans le cas de l’inceste). La nourriture est vécue comme un « endormisseur de honte », une sorte d’anesthésiant. La personne peut sentir son corps comme gonflé et percevoir un mal-être associé sur lequel elle ne met pas de mots.
L’insécurité, la dépendance affective ou le rejet des relations
Ce lien « ligature » empêche l’autonomie et se développe sans tendresse. Il n’y a pas d’enveloppement sensoriel dans ce lien qui « prends » plus qu’il ne donne. L’enfant ne peut alors développer une sécurité intérieure. Cela peut se manifester par des soucis d’argent et une dépendance affective. Certains parents peuvent se servir de l’argent pour créer une dépendance avec l’enfant et l’empêcher ainsi de ressentir la colère qui l’habite.
Les personnes concernées peuvent se sentir comme happées dans des relations qui ne leur conviennent pas et dans lesquelles elles restent par culpabilité, insécurité ou devoir et parque que d’une certaine façon elle ont l’habitude « d’appartenir à l’autre ». Elles peuvent aussi couper court à toute relation pour éviter de revivre cette prise de pouvoir qui a été faite sur elles ou s’engager sans s’engager : en ne se donnant pas vraiment.
La peur de la Jalousie
Le parent qui est exclu du lien incestuel peut développer une jalousie pour l’enfant, ne se rendant pas toujours compte de ce qui se passe réellement. Ceci est très insécurisant pour l’enfant qui a besoin de sentir la bienveillance de ses parents.
Parfois les frères et sœurs prennent ombrage de cette relation qui semble être une relation d’amour vue de l’extérieur.
Le fait en plus que le parent survalorise l’enfant auprès de son entourage l’expose aux éventuelles jalousies de l’environnement extérieur à la famille, jalousies dont il pourra avoir peur en grandissant.
La victime peut même devenir mégalo jusqu’à s’y perdre.Elle peut avoir beaucoup de mal à relationnel avec les autres en s’exhibant trop ou au contraire en se cachant selon la personnalité. Elle ne sait pas être juste elle-même.
Les problèmes sexuels
C’est la résolution de l’Œdipe qui permet à l’enfant de devenir un être séparé et possédant un désir.
L’adulte peut alors se donner le droit de vivre des relations sexuelles en dehors de ses parents sans avoir peur d’être castré.
L’enfant qui a vécu dans un climat incestuel n’a pas le droit de jouir ni de jouir de la vie.
Cela peut créer des phénomènes de frigidité ou d’éjaculation précoce par exemple.
Le manque de limites et les problématiques de territoire
Le parent incestuel crée une dépendance chez l’enfant, dépendance que l’on retrouvera plus tard dans ses relations avec autrui.
L’enfant et l’adulte plus tard n’a tout simplement pas de territoire et n’a pas le droit d’en avoir un.
Il peut alors tout accepter des autres et lui-même, sans s’en rendre compte, enfreindre les barrières psychiques et physiques des personnes qui l’entourent (vêtements dispatchés dans tout l’appartement, venir se coller auprès de quelqu’un alors qu’il y a de la place, poser des questions indiscrètes…)
Le temps (lié aux barres des générations) et les limites (liées au corps) sont floues. Les victimes peuvent oublier des rendez-vous ou se tromper de lieu ou d’horaire.
Comme s’il appartenait aux autres et les autres lui appartenaient.
Le refus du quotidien
L’enfant a été souvent idolâtré par le parent incestuel comme pour lui offrir un miroir narcissique.
L’enfant est donc aimé s’il devient exceptionnel mais c’est un exceptionnel qui part de l’extérieur.
L’enfant cherche à se conformer à une sorte d’idéal du moi qui n’est pas basé sur ses vrais désirs.
Il a l’illusion que s’il est extraordinaire il va être aimé.
Pistes de guérison en thérapie
Reposer le cadre et la barre des générations
Pour ces adultes autrefois incestualisés, le thérapeute peut être vu comme une sorte de « copain ».
Ils n’ont pas connu de barres de générations avec un ou des parents les considérant bien souvent comme confidents et vont donc essayer de reproduire ce que eux connaissent c’est à dire la fusion et la familiarité.
Cela peut se manifester par des décalages de séances fréquents, des tentatives d’inviter le thérapeute à vivre des expériences en dehors du cadre des séances…
Ils peuvent même chercher à aider le thérapeute ou à apparaître comme extraordinaire à ses yeux.
Poser un cadre ferme mais non autoritariste avec la présence de l’empathie sera d’une très grande guérison pour ces personnes.
Cela passe par le paiement des séances non effectuées si le délai d’annulation est trop court et par le respect de la durée des séances notamment.
Pouvoir les remercier pour leurs propositions d’aide tout en refusant et en leur expliquant qu’accepter ça serait encore les utiliser une énième fois et ne pas mettre la fameuse barre des générations qui leur a tant manqué.
Mettre un cadre donc sans les culpabiliser leur permettra à eux aussi de pouvoir se positionner face aux autres et de savoir mettre des limites saines.
C’est ainsi qu’ils pourront découvrir conjointement l’enveloppement sensoriel (présence chaleureuse du parent qui leur a manqué) et le pare-excitation (limites que sont censés mettre les parents autour de l’enfant pour qu’il puisse se respecter et savoir se faire respecter).
Les aider à y avoir clair dans les paradoxes et les amalgames et différencier amour et possession
Comme je l’ai décrit plus haut les enfants ayant grandi dans ce type de famille ont reçu des doubles messages et les secrets se sont amalgamés pour fournir une sorte « d’objet secret » confusant.
Ce brouillard est très culpabilisant.
Le thérapeute peut aider par son positionnement à reconnaître les doubles messages toxiques de façon à ce que le consultant puisse de nouveau agir car ces doubles messages sont paralysants : « brille mais ne nous dépasse surtout pas » peut être un message à l’origine d’une inhibition de l’action sérieuse !
Aider l’enfant intérieur à exprimer sa tristesse et sa colère face à la pure et simple négation de son existence
La tristesse et la colère peuvent être des couches émotionnelles logées comme en sandwich dans le corps.
La culpabilité est notamment une protection que met l’enfant pour pouvoir continuer à idéaliser ses parents.
Aider les personnes à reconnaître les défaillances de leurs parents n’a pas pour objet de les remonter contre eux mais bien que leur enfant intérieur se sente enfin entendu (c’est lui qui porte les submergements émotionnels) et que la culpabilité diminue pour laisser place à une légitime rage dans laquelle ils pourront trouver la base de leur élan.
Aider les personnes à retrouver un élan, un désir qui leur soit propre en passant par l’acceptation de leur humanité.
L’idéal du moi est si fort chez ces personnes qu’elles ont tendance à ne s’aimer que si elles sont des surhommes ou des surfemmes.
Accepter le côté plus ordinaire de leur vie et de leur personnalité sera le chemin pour aller vers leur singularité.
Elles pourront alors partir d’elles et retrouver leur vrai désir, profiter de la vie pleinement dans l’instant en réinvestissant leur corps.
Les aider à avoir le droit à la vérité pour vivre une vie plus claire
Les autoriser à découvrir la vérité sur leur histoire leur permettra d’être plus authentiques dans leurs échanges et moins manipulables.
Dès la première séance on peut parfois sentir une difficulté pour le consultant ayant évolué dans ce type de famille à aller fouiller dans le passé, comme s’il voulait guérir sans reconnaître (dépendant bien sûr du travail déjà effectué). C’est que ce type de famille considère la vérité comme tabou !
L’intériorité y est fustigée et il est parfois difficile pour les consultants d’oser écouter leurs émotions.
Une fois les émotions de l’enfant intérieur reconnues, aider ces personnes à reconnaître les difficultés portées par le parent concerné
Il y a toujours une coexistence à trouver entre écouter les émotions de l’enfant intérieur et aider la personne à comprendre que le parent ne savait pas faire autrement du fait de sa propre histoire.
Zapper une de ces deux facettes pourrait soit faire rentrer la personne dans une rage stérile portée par l’adulte en lui, soit la faire fuir dans un pardon qui n’en serait pas un car se faisant au dessus d’émotions non écoutées.
L’écoute des mécanismes de transfert permettra aussi d’aider à reconnaître ces émotions refoulées.
Ca sera le choix de chacun ensuite de poursuivre ou non une relation avec ses parents en fonction du degré de toxicité de ceux-ci et de l’évolution qu’ils auront pu avoir.
Le cas particulier de l’inceste
Ce cas est particulièrement sensible et il faudra éviter les conclusions hâtives.
La reconnaissance se fera progressivement par le corps, les rêves et des mémoires liées aux sens (en particulier le goût et l’odorat).
La rage, la honte et la terreur auront besoin d’être écoutées.
La mémoire peut ne jamais revenir totalement et ça n’est pas important.
Ces mémoires ne peuvent se présenter et se libérer que dans un contexte thérapeutique particulièrement sécurisant.
Parfois les victimes auront reproduit enfant des actes sur leurs frères et sœurs par exemple et il sera important de les écouter avec amour pour qu’elles puissent lâcher la honte d’un acte qui a été induit par le parent incestueux ou incestuel.
Parfois aussi la personne aura été victime d’un inceste d’un frère ou d’une soeur sans être protégée par les parents.
Petit à petit une nouvelle force se dégagera pour ces anciennes victimes de famille incestuelles qui pourront alors utiliser au mieux ce qu’elles auront surdéveloppé pour faire face à ces situations : intuition psychologique, empathie…tout en s’autorisant à vivre leur vie.
Il y a une vie après l’incestuel !
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