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Couple et Sexualité

Couple et Sexualité

La théorie de l’attachement et ses liens avec la sexualité

Se nourrissant des apports conjoints de la psychanalyse et de l’éthologie, le psychiatre anglais John Bowlby a élaboré en 1969 une théorie expliquant la formation des premiers liens entre le jeune enfant et la personne qui prend soin de lui. En effet, ses premiers travaux sur les conséquences des séparations précoces avaient mis en évidence un certain nombre de difficultés chez les adolescents ou les adultes qui en ont été victime : délinquance, personnalités décrites comme « dépourvues de tendresse », ou bien au contraire hyper-sensibilité émotionnelle.


Cette contribution majeure à la compréhension des relations interpersonnelles entre le tout jeune enfant et son environnement permet d’éclairer le caractère universel des attitudes de celui-ci, quelle que soit sa culture d’origine : l’attachement est un besoin biologique primaire et adaptatif, présent pour assurer la survie de l’enfant.

Le bébé arrive au monde dans une grande dépendance vis-à-vis de l’autre. Comme chez les petits animaux, il développe des comportements ayant pour objectif le maintien de la proximité physique d’un adulte protecteur : c’est le système d’attachement. Celui-ci trouve également son pendant neurobiologique chez la mère par la sécrétion d’ocytocine, cette hormone spécifique de l’attachement présente lors de l’accouchement, afin d’induire un comportement de protection chez celle-ci. Les manifestations de l’attachement se construisent pendant les soins donnés à l’enfant et prennent la forme d’une attention visuelle soutenue, d’ « accrochage » à la figure d’attachement (le « grasping »), de comportements d’imitation, mais aussi de sourires, de petits cris ou de pleurs.

Ces comportements ont une double fonction :

  • atteindre la proximité qui engendrera le sentiment de sécurité
  • et activer l’offre de soins du parent (« caregiving »), système complémentaire de l’attachement. 

Il est établi -aujourd’hui que l’attachement se développe de manière semblable avec la mère et le père de l’enfant, avec cependant un primat maternel dans les situations de stress important (Lamb, 1977). Le système d’attachement sera particulièrement activé dès lors que l’enfant perçoit des indices de séparation de la figure d’attachement (la mère ou la personne qui prend soin de lui) ou des signaux de menace dans son environnement

Depuis sa naissance jusqu’à ses 2/3 ans, et au fur et à mesure de son développement psychologique, le jeune enfant va construire une représentation de lui et de l’autre – nommé le Modèle Interne Opérant – qui prendra une couleur différente selon la qualité de ce tout premier lien.

Ce premier schéma de la relation à l’autre avec ce « partage d’états affectifs » (Stern, 2005) – ou intersubjectivité – se construit en fonction des attentes et des anticipations élaborées à partir de la qualité des soins apportés. Selon la disponibilité de la figure d’attachement, le sentiment de sécurité sera plus ou moins présent chez l’enfant. En apportant des soins adéquats et sécurisants, la figure d’attachement permet à la fois la construction d’un lien émotionnel stable et la capacité à gérer progressivement ses émotions de manière autonome.

Lorsque la sécurité est présente, l’enfant est à même de développer des comportements de socialisation vis-à-vis des autres et des comportements d’exploration de l’environnement. L’impossibilité à obtenir de la réassurance de la part de la figure d’attachement entraînera par contre un dérèglement du système d’attachement.

L’enfant développera des stratégies secondaires de deux types :

  • ne se fier qu’à lui-même, se détacher, ne plus rechercher la proximité – ces comportements décrivent un attachement insécure détaché-évitant ;
  • ou bien au contraire, intensifier ses protestations et ses demandes d’aide – c’est l’attachement insécure anxieux-ambivalent.

Enfin, certains enfants alternent les deux stratégies compensatoires et montrent une insécurité dite désorganisée (Ainsworth et coll., 1978 ; Main & Solomon, 1986).

Le style d’attachement peut changer avec le temps et devenir plus sécurisant si, à travers les années, le type de relation que l’individu entretient avec les membres importants de son entourage change de façon significative. Mais dans la majorité des cas, le style d’attachement tend à se perpétuer.

Ainsi, une étude longitudinale a mis en évidence la stabilité entre l‘attachement de la petite enfance et le style d’attachement évalué à l‘âge de 20 ans (Waters et al.,1995). S’appuyant sur ce concept de la continuité du système d’attachement tout au long de la vie, Hazan et Shaver (1987) développent la notion d’attachement amoureux. À l’âge adulte, le partenaire amoureux devient pour l’autre la nouvelle figure d’attachement. Certains comportements et sentiments sont similaires :

  • contacts visuels fréquents,
  • sourires,
  • rapprochements physiques,
  • sentiment de sécurité lorsque le partenaire est disponible pour répondre à la détresse.

Dans la relation amoureuse, chaque conjoint alterne successivement la recherche de réconfort et l’offre de soutien. L’attachement amoureux peut se définir en fonction de deux grandes dimensions :

  • l’anxiété d’abandon : elle correspond au niveau d’anxiété ressentie à la perception d’une menace de rejet, réelle ou non. Une personne plus anxieuse se montre en général hypersensible aux signes montrant que son partenaire est moins disponible et doute de l’engagement de celui-ci. Cette anxiété se manifestera à travers une demande importante de présence et de signes d’attachement et occasionnera une communication fréquente sous forme de reproches.
  • l’évitement de l’intimité (Brennan, Clark, & Shaver, 1998 ; Miljkovitch, 2009) : il  se caractérise par un malaise ressenti en situation de dévoilement intime de soi ou de dépendance. Cet évitement est présent chez les gens qui ne croient pas, consciemment ou non, que la recherche de proximité puisse apporter du réconfort. Cet évitement prend souvent la forme de nombreux investissements extérieurs au couple ou d’un retrait de la communication.


La sécurité, dans l’attachement amoureux, se caractérise par une faible anxiété d’abandon et peu d’évitement de l’intimité.
Les gens dits «sécurisés » utilisent donc peu ces stratégies secondaires ou de manière flexible, au contraire des personnes au style d’attachement insécure.

La théorie de l’attachement stipule l’existence de trois systèmes comportementaux nécessaires au bon fonctionnement des relations de couple :

  • l’attachement,
  • l’offre de soutien
  • et la sexualité (Mikulincer & Shaver, 2007).

La sexualité peut être utilisée pour combler les besoins d’attachement : chercher un sentiment de sécurité, réduire l’anxiété ou booster l’estime de soi. Les études qui s’intéressent à l’ocytocine contribuent également à établir le pont entre l’attachement dans l’enfance et les relations amoureuses, puisque celle-ci est sécrétée pendant les rapports sexuels, notamment au moment de l’orgasme (Magon & Kalra, 2011). Dans le cas des styles d’attachement insécures, la focalisation exclusive sur la recherche de sécurité – ou au contraire sur l’évitement de la proximité – vient entraver le plaisir sexuel. Les dysfonctionnements du système sexuel reproduisent ceux déjà identifiés dans le système d’attachement, impliquant les stratégies hyperactivantes et désactivantes du système d’attachement (Stefanou et Mc Cabe, 2012) :

  • La sexualité des insécures anxieux implique une fréquence sexuelle plus importante, en donnant à la sexualité du couple une valeur essentielle et fondamentale. L’hyperactivation de l’attachement fait adopter une position d’hypervigilance face au rejet sexuel perçu. Leur désir intense de se sentir valorisés sexuellement peut les amener à accepter des pratiques sexuelles peu désirées ou avoir des relations sexuelles pour conserver l’intérêt de leur partenaire.
  • La sexualité des insécures évitants tend à être centrée sur eux-mêmes avec un désintérêt marqué ou un manque d’empathie envers les besoins de leur partenaire. Elle peut être marquée par de l’érotophobie (crainte exagérée de la sexualité), de l’abstinence sexuelle ou à l’opposé, par la recherche d’activités sexuelles sans engagement émotionnel. Dans les études sur les femmes, l’attachement évitant est également lié à de faibles niveaux d’excitation sexuelle, à une basse fréquence d’orgasme et à de la douleur sexuelle.

En conclusion, la théorie de l’attachement constitue un cadre conceptuel éclairant dans les relations de couple. La validation de ses prolongements dans la sexualité implique une posture thérapeutique axée sur la sécurité du lien entre les deux conjoints dans la prise en charge des dysfonctionnements sexuels. Le focus se fera alors sur l’émergence des besoins de sécurité et de proximité chez chacun, en établissant les bases d’une intimité émotionnelle suffisamment bonne, et sur le développement d’un soutien stable et réciproque dans la relation amoureuse.

Bibliographie

Bowlby, J. (1969). Attachement et perte. Vol. 1. Attachement, P.U.F., Paris.

Miljkovitch, R. (2009), Les fondations du lien amoureux. Paris, PUF.

Stern, D. (2005). Le désir d’intersubjectivité. Pourquoi ? Comment ? Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, no 35, p. 29-42.

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