112016Oct

burn-out :

 Pascal CHABOT

Résumé : Un ouvrage clair et concis où, à travers l’analyse des différentes causes et caractéristiques du burn-out, l’auteur brosse le portrait du malaise de la postmodernité.

Le choléra des temps modernes

Il faut d’abord noter le style fluide et précis de ce texte qui permet de distinguer, au cœur de ce phénomène complexe et multifactoriel qu’est le burn-out, les différents éléments qui le composent. Le lecteur sera également surpris par les premières pages du livre qui lui donneront l’impression de lire un roman. Le détail de la description de cette femme qui tout à coup éclate en sanglots au volant de sa voiture, arrêtée sur la bande d’arrêt d’urgence d’une autoroute, n’est en effet pas sans rappeler quelques scènes du Hussard sur le toit où Giono dépeint ces corps vidés, déformés par le choléra, suintant leur mal de tous côtés. Analogie dans le style donc mais peut-être aussi sur le fond tant il est tentant de faire du burn-out le choléra des temps modernes.

L’acédie contemporaine

Pour mieux définir le burn-out, l’auteur propose d’abord un rapide retour sur l’historique de la notion. On apprend ainsi que si le psychiatre et psychanalyste contemporain Freudenberger fut le premier à faire entrer ce terme dans le langage médical, on trouve des traces bien plus anciennes de ce phénomène dans un tout autre domaine. Ainsi le rapprochement avec l’acédie qui toucha les plus dévoués des moines et autres théologiens est particulièrement bien choisi dans la mesure où il illustre le caractère paradoxale du burn-out, à savoir le fait que ce soit les plus fervents défenseurs d’une cause qui finissent par s’épuiser de leur propre engagement. L’acédie pour le religieux « ce sont les Notre Père qui ne passent plus, les Ave Maria qu’on oublie, les génuflexions dont on ne se relève pas » . De la même manière, dans l’observation de Freudenberger, c’est le médecin ou l’infirmier qui tout en ayant longtemps cru en la valeur de son engagement ne peut plus, un beau matin, se lever pour aller travailler.

Si le burn-out fait aujourd’hui tant parler de lui, c’est qu’il ne touche plus seulement ces professionnels du soin au chevet de ceux qu’une idéologie que l’on examinera tout à l’heure qualifierait de « maillons faibles », mais bien les piliers du système libéral, « les fiers-à-bras du mérite, les héros de l’effort récompensé » . Si le burn-out inquiète, c’est qu’il recèle toujours « une remise en cause des valeurs dominantes : il génère les nouveaux athées du techno-capitalisme » .

Les mécanismes de l’absurde

Pour tenter d’expliquer ce paradoxe, Pascal Chabot distingue trois caractéristiques de notre époque postmoderne qui bien entendu dans les faits s’entremêlent.

Le burn-out est un essoufflement du perfectionnisme. Le développement économique mondial s’est largement basé sur l’idéologie du self made man. Dans cet archétype du libéralisme l’individu est encouragé à se dépasser lui-même et à courir après ce mirage qui veut que par le travail il atteigne au plein accomplissement de lui-même. Ainsi la réussite professionnelle a remplacé le salut. Ce qui fera le piquant d’une telle vie, c’est qu’étant donné que les meilleures places sont rares, il faudra jouer des coudes pour s’imposer. Embarqué malgré lui dans cette compétition, chacun va alors se lancer dans l’aventure et sacrifier sur l’autel du travail tout un pan de sa propre personne. Aussi il ne suffira pas une fois lacarrière entamée, de maintenir un rythme de croisière, il faudra en faire toujours plus car la concurrence veille et le profit n’attend pas. Le perfectionnisme au service d’un tel gouffre se transforme alors en un véritable cauchemar régulateur.

Le burn-out est également un essoufflement de l’humanisme. En effet, pour maintenir la cadence, des moyens plus directs escortent la course à la reconnaissance. Chaque entreprise digne de ce nom dispose ainsi de deux composantes majeures :

  • un service de ressources humaines
  • et une équipe de managers. Bien sûr le service de ressources humaines est un élément indispensable pour la survie même de l’entreprise, mais ce que l’auteur lui reproche c’est d’avoir glissé d’un sens plutôt figuré à un sens propre qui transforme la formule en un véritable oxymore. Pour les postmodernes en effet, « l’humain est une ressource : qu’il dégorge, lui aussi, ses meilleures énergies, sa sueur, son temps. Il est, de toutes façons, surnuméraire et donc remplaçable » . Les ressources humaines sont donc chargées de repérer les meilleurs étalons à aligner dans la course au profit, de remercier aussi les boiteux et autres lessivés tandis que l’équipe des managers s’occupent de ceux qui sont encore en piste.

Pour nous donner une idée du genre d’âme parfaitement morte que peux générer un tel système, l’auteur laisse la parole au manager lui-même : « J’ai rempli mes missions. J’ai managé par la terreur, j’ai choisi des maillons faibles. Il y a eu des cas de suicides en effet, qu’y puis-je ? » .

Parce qu’il y a forcément un moteur caché à cette machine infernale, le burn-out peut également se définir comme une course à la reconnaissance. En effet, « l’humain, qui, contraint par la nécessité, fait en l’occurrence violence à son égoïsme, veut voir ce sacrifice souligné » . Il est bien prêt à se sacrifier, mais il faut en retour lui assurer un minimum de reconnaissance. Le comble du cynisme, c’est que c’est précisément parce qu’il aura le sentiment, trop humain qu’il est, qu’on lui est reconnaissant, qu’il persévèrera dans ses efforts. Pascal Chabot cite d’ailleurs sur ce point les analyses d’Axel Honneth qui a très bien « vu que la reconnaissance pouvait être une arme idéologique grâce à laquelle, sous couvert de flatterie, on cantonnait les individus dans une fonction subalterne pour les empêcher d’en sortir » 

Ce que le burn-out nous révèle à travers des trois caractéristiques, c’est qu’au fond pas même les plus dévoués à leur tâche ne sont dupes du non-sens au service duquel leurs forces sont mises à contribution. Le burn-out signifie que les flatteries et les sourires ne suffisent plus à masquer le vertige de la logique du profit. Seulement pressenti, non explicitement dit ni pensé, l’absurde sera vécu, somatisé. « Les corps sont intelligents. Ils en savent parfois davantage sur nos besoins que nos psychismes bridés » . Le burn-out nous apprend qu’on ne peut pas faire l’impasse sur cette nécessité pour chacun d’avoir du temps pour soi. Les fétiches en tout genre n’y feront rien, il faut vivre.

Si ce phénomène en est venu à miner les corps, c’est peut-être aussi parce qu’il n’y avait plus aucun espace pour que l’absurde s’exprime. La culture s’étant en effet elle-même mise au pas de la course du profit. En ce sens on ne peut que constater « les fausses promesses de l’économie de la connaissance » . La logique capitaliste, que l’on peut donc qualifier d’absurde dans la mesure où rien ne semble pouvoir assigner de limites au profit, cette logique qui faisait vivre l’entreprise s’est immiscée comme une pieuvre jusque dans la vie privée des individus de façon à ce que les loisirs eux-mêmes et toute forme de recherche de sens deviennent profitables. On vous vendra jusqu’aux recettes du bonheur.

Ce que le burn-out révèle, c’est une forme d’existentialisme déraciné où « il y a une immense tourbe d’hommes qui sentent par sentiments tout faits, […] qui pensent par idées toutes faites, […] qui veulent par volontés toutes faites » .

Les racines idéologiques

Pour mieux voiler cette trainée de poudre en train de se répandre sur la postmodernité, certains diront que le burn-out ne concerne que les « faibles » et autres « inadaptés ». Ils se réfugieront donc derrière cette autre arme idéologique qu’est l’argument pseudo darwinien d’une lutte pour la survie qui implique nécessairement des dommages collatéraux. « Ce n’est cependant pas le bon axiome. L’humain, en vérité, est l’être plastique par excellence. » . Il s’adapte à des situations nouvelles et les musées d’ethnologie regorgent des vestiges de cette diversité humaine. Dans chaque civilisation on trouvera d’ailleurs une forme de spiritualité et de culture qui répondent à d’autres exigences que celle de la simple adaptation au milieu. C’est qu’en effet s’adapter, dominer son milieu est une chose, « il faut en plus se réaliser » . L’humain est cet être qui a besoin de trouver un sens à ce qu’il fait, à sa vie, il a besoin de se projeter dans un horizon qui dépasse les préoccupations quotidiennes tout en leur donnant leur aplomb. Or, quand la logique de l’absurde a finit par recouvrir tout attente, le système entre en crise.

Ainsi « l’humanité gémit, à demi écrasée sous le poids des progrès qu’elle a faits » . Les progrès de la technique qui devaient la libérer sont désormais au service d’une logique de production coupée de tout rapport sensé au réel. Le travail grâce auquel l’homme devait se libérer de l’emprise de la nature pour se consacrer à « des finalités plus intéressantes, plus métaphysiques et plus tendres »  est devenu le piège que personne ne peut éviter et que rien ne semble pouvoir déjouer.

Enfin concernant ce culte de la performance  qui plante ses racines dans le modèle patriarcal, une autre remarque de l’auteur mérite d’être pointée. La question du burn-out prend en effet une dimension particulière quand elle concerne les femmes. De nombreux cas se déclarent chez des professionnels du soin et de l’enseignement, or ces postes sont principalement occupés par des femmes. Mécaniquement le burn-out touche donc plus souvent celles-ci que les fiers-à-bras en col blanc. Un double piège se tend ici. On dira tout d’abord que les femmes se tournent vers ces métiers parce qu’elles sont naturellement plus douces, plus compatissantes, plus dévouées. En réalité c’est l’histoire qui a façonné ce mythe et « ce naturalisme est commandé par un intérêt social plus ou moins bien compris » . Mais le côté tragique de l’histoire, c’est que quelque part la femme s’y est laissée enfermer, qu’elle adhère à ce discours et interprète son comportement à la lumière de cette grille de lecture.

La mise en exergue de cette question du « Women’s burn-out » par l’auteur est intéressante dans la mesure où elle peut, dans une certaine mesure, éclairer également la situation globale. En effet, de la même manière qu’aucune n’est responsable de la situation de toutes les autres mais participe pourtant à quelque degré de la survie des valeurs patriarcales, aucun postmoderne n’est responsable de la situation de tous les autres bien qu’il l’entérine en permanence. Il est bien sûr tentant de désigner des coupables mais en réalité chacun est « à moitié victime, à moitié coupable, comme tout le monde » .

Les psychologues diront que le burn-out est une réaction endogène, les sociologues que c’est un phénomène exogène. Mais « c’est en cela que l’approche philosophique, qui est relationnelle, enrichit le débat. Pour elle, dans les troubles miroirs et les maladies de civilisation, c’est la relation entre l’individu et le social qui pose problème. Or, il faut être deux pour construire une relation » . Bien sûr les deux types de facteurs peuvent s’entremêler mais le burn-out ne tombe pas sur l’individu de dessus, il ne surgit pas non plus de dessous, il apparaît sur ce rebord de l’existence où l’individu en relation avec son environnement cherche à réaliser autant qu’à prendre. Si le burn-out caractérise bien une logique de l’absurde c’est qu’il correspond dans une certaine mesure à la célèbre définition de Camus : « L’absurde naît de la confrontation de l’appel humain avec le silence déraisonnable du monde » .

Vers un pacte technologique

Afin de commencer à enrayer « la machine burn-out », l’auteur propose deux choses.

  • Tout d’abord il faudrait sérieusement « réfléchir à une pénalisation des techniques de gestion du personnel qui utilisent la peur et le harcèlement moral comme stratégie » .
  • Ensuite il faudrait envisager d’élaborer un pacte ou « contrat technologique » qui, en tant qu’idéal régulateur remettrait à leur place des logiques qui n’ont d’autres fins qu’elles-mêmes.

Ce que l’analyse du burn-out permet de dégager, ce sont deux voies d’évolution possible :

  • D’un côté il y a le chemin qu’emprunteraient volontiers les post humanistes. Pour remédier aux imperfections de l’homme actuel, ils inventeraient les technologies capables d’en faire une machine qui ne chercherait pas « le bureau des réclamations métaphysiques » .
  • De l’autre il y a l’humain et ses défauts, ou plutôt une vision de l’humain dans laquelle le besoin de temps et la recherche de sens sont des incontournables pour lesquels « il n’y a pas de solution car il n’y a pas de problème, mais seulement la vie qui passe à travers les générations et qui est la matière de tous les humanismes » 

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