LE PERFECTIONNISME : AMI OU ENNEMI TOXIQUE ?
LE PERFECTIONNISME : AMI OU ENNEMI TOXIQUE ?
Le perfectionniste est trop exigeant et très critique vis-à-vis de lui-même. « Toujours mieux » est la maxime favorite des perfectionnistes qui ne se rendent pas compte que le mieux peut être l’ennemi du bien.
Le perfectionnisme est l’un des grands traits de personnalité. C’est un moteur efficace permettant de réussir et souvent de créer. Des musiciens, tels Jean-Sébastien Bach ou Beethoven, revenaient longuement sur leurs partitions avant de les considérer comme présentables. Des écrivains, par exemple Marcel Proust, annotaient sans fin leurs manuscrits avant de considérer leurs textes parfaits. De nombreux peintres géniaux multiplient les esquisses avant d’être satisfaits de leurs toiles.
Ainsi, le perfectionnisme peut être une excellente chose. Il nous permet d’être efficaces, de nous lancer des défis. Pour autant, tous les génies ne sont pas perfectionnistes. Par ailleurs, si le perfectionnisme prend des proportions trop importantes, il peut devenir un piège tant pour le sujet que pour son entourage. Ce sont ces pièges du perfectionnisme qui vont être décrits, pour mieux savoir ensuite les éviter et faire un bon usage du perfectionnisme.
Il existerait trois types de perfectionnisme :
- celui orienté vers soi qui consiste à exiger de soi- même la perfection.
- Celui orienté vers les autres on demande à son entourage d’être parfait comme soi.
- Enfin, le troisième est une réponse du sujet à une demande de perfection d’ordre social : c’est le perfectionnisme prescrit socialement.
C’est pour répondre à ces normes sociales que le sujet devient perfectionniste. Une même personne peut combiner plusieurs de ces trois types de perfectionnisme.
Différents types de perfectionnisme
Ces trois types de perfectionnisme se distinguent par leurs conséquences sur la vie quotidienne. Le perfectionnisme orienté vers soi n’est pas nécessairement pathologique, mais serait plutôt un facteur de vulnérabilité : les personnes qui en sont atteintes ne présenteraient pas de risques particuliers sauf en cas de stress.
Le perfectionnisme prescrit socialement résulterait d’une pression exercée par l’environnement combinée à un sentiment d’impuissance (déjà décrit chez les personnes dépressives). Dans ce type de perfectionnisme, les sujets ont tendance à penser que plus ils sont performants, plus on va attendre d’eux qu’ils se dépassent : un désespoir progressif s’installe.
Quant au perfectionnisme orienté vers les autres, il a des effets dévastateurs notamment dans un couple : le sujet perfectionniste exige de façon tyrannique que son conjoint soit parfait et le critique en permanence. On parle souvent de perfectionnisme toxique.
Le perfectionnisme est un continuum qui s’étend du « bon » perfectionnisme au perfectionnisme pathologique, et sur lequel chacun peut trouver sa place. Insistons bien sur le fait que le perfectionnisme n’est pas une maladie, sauf lorsque le sujet est à l’extrémité 100 pour cent de l’échelle. C’est un trait de personnalité qu’il vous faut conserver s’il n’est pas trop élevé, s’il est en accord avec votre réussite et si vous êtes heureux grâce à lui (ou malgré lui). En revanche, si votre perfectionnisme est trop élevé et se rapproche du 100 pour cent, et s’il est la cause de divers symptômes que nous décrirons, en particulier une insatisfaction permanente et une certaine paralysie dans vos actions, alors il faudra le réduire.
Il est possible d’envisager, tout d’abord, le cas où vos exigences sont trop élevées : vous avez tendance à vous fixer des objectifs irréalistes, et vous n’êtes jamais satisfait de vos résultats. Mais au lieu d’admettre que les objectifs étaient inadaptés, vous avez tendance à considérer que c’est vous qui n’avez pas été assez compétent pour les atteindre. Vous perdez confiance en vous, et, pour restaurer cette confiance, vous aurez tendance à vous fixer de nouveaux objectifs encore plus inaccessibles. Ce perfectionnisme est dit de valorisation. Pour se sentir « valable », le sujet veut être « parfait ».
L’insatisfaction permanente est la deuxième caractéristique du perfectionnisme toxique. Malgré ses réussites pourtant nombreuses, le sujet est le plus souvent insatisfait, jamais content de lui. Il est soumis à une pression permanente qui entraîne stress, surmenage et fatigue. Il ne sait pas profiter des moments de plaisir et de bonheur, surtout lorsque ceux-ci demandent au sujet d’être passif. Il a peur de l’erreur et de l’échec, il est terrorisé par tout ce qui est imparfait. Souvent les perfectionnistes toxiques ont un sens de l’ordre, du détail et de la méticulosité qui tourne à l’obsession. Ils ont de grandes difficultés à prendre des décisions, sont souvent soumis au doute, hésitent. Ils sont très sensibles à la critique et craignent d’être désavoués. Ils ont également peur de la critique.
Du perfectionnisme toxique au perfectionnisme bénéfique
Mais à côté de ce perfectionnisme excessif, le perfectionnisme modéré est bénéfique les exigences du sujet sont élevées, mais elles ne sont pas irréalistes, et le sujet est fier des objectifs qu’il a atteints. Ce perfectionnisme est surtout dirigé envers le sujet lui-même. Il n’exige pas de son entourage familial ou professionnel qu’il soit parfait et ne cherche pas à répondre à des normes sociales perfectionnistes.
Si vous êtes un perfectionniste modéré, vous avez de la personnalité, vous êtes affirmé, vous faites les choses bien car, professionnellement, c’est utile pour vous, ou parce que vous avez simplement envie de les faire ainsi. Ce bon perfectionnisme s’accompagne d’un sentiment de satisfaction personnelle (à la différence du précédent). Lorsque vous faites une erreur, vous n’en faites pas un drame, vous considérez que l’erreur est une source de progrès et que c’est en faisant des erreurs que l’on apprend. Vous analysez tranquillement votre erreur, en évaluez les causes et modifiez vos comportements en conséquence.
Votre rythme de vie est correct même si vous travaillez parfaitement, vous gardez des moments de repos avec votre famille et vos enfants. Vous êtes souvent heureux de vivre et avez des émotions positives. Même si vous respectez les règles, vous êtes imaginatif, n’hésitez pas à créer et à sortir des sentiers battus : cela vous paraît nécessaire.
Ainsi, les mêmes manifestations quand elles sont modérées confèrent un bon perfectionnisme alors qu’elles aboutissent à un perfectionnisme toxique quand elles sont trop intenses. Dès lors, comment savoir si votre perfectionnisme est harmonieux ou toxique ? Quand un tel perfectionnisme est détecté, restent deux questions : d’où vient-il et comment le gérer ?
Les causes du perfectionnisme
Le perfectionnisme prend racine dans l’enfance et souvent même dans la filiation des parents. Il nous est ensuite transmis par l’éducation. Nous le garderons tout au long de notre vie, car nous vivons dans un monde qui nous envoie des messages valorisant le perfectionnisme.
Quatre modèles éducatifs semblent favoriser le développement du perfectionnisme chez l’enfant :
- le modèle des attentes sociales ;
- le modèle de l’apprentissage social ;
- le modèle de la réaction sociale ;
- le modèle de l’éducation anxieuse.
Commençons par le modèle des attentes sociales, notamment des attentes parentales. L’enfant se dit qu’il doit faire ce que ses parents attendent de lui. Or dans certaines familles, les parents veulent que leurs enfants soient parfaits. Ce modèle est fréquent lorsque les parents ont eu des conditions de vie difficiles, par manque d’argent ou parce qu’ils n’ont pas eu la possibilité de faire des études. Ils veulent alors que leur enfant réussisse à tout prix, au risque d’exercer sur lui une pression trop forte. Ce système pousse l’enfant à des conduites perfectionnistes pour répondre aux attentes des parents.
Selon le modèle de l’apprentissage social, l’être humain apprend en imitant ce qu’il voit. Si un enfant a un père ou une mère perfectionniste, il y a des chances que, par imitation de ce parent, l’enfant devienne lui-même perfectionniste. Plusieurs études ont montré que plus le perfectionnisme des parents est élevé, plus celui des enfants l’est. Il semblerait que l’imitation du perfectionnisme se fasse plutôt par le parent du même sexe, les filles imitant leur mère et les garçons leur père.
Dans le modèle de la réaction sociale, l’enfant se dit qu’il ne doit pas poser de problèmes à ses parents, car ceux-ci en ont déjà assez. On rencontre ce modèle dans des familles confrontées à de graves difficultés : par exemple, la mère est très dépressive, en permanence en soins et ne peut pas travailler ; ou dans des familles où les conflits parentaux sont fréquents s’accompagnant parfois de violence. Un autre cas de figure est celui d’un enfant arrivant après un enfant handicapé : ce dernier mobilisant toute l’attention des parents, le second adopte une position de perfectionniste pour ne pas poser de problèmes supplémentaires à ses parents qui ont déjà bien assez de soucis avec l’aîné handicapé. Dans ce modèle, l’enfant cherche à protéger ses parents avec une conduite irréprochable.
Enfin, dans le modèle de l’éducation anxieuse, les parents pensent que pour réussir dans la vie, il faut chercher à tout contrôler et tout prévoir, pour éviter les aléas de la vie quotidienne.
En dehors de ces quatre modèles éducatifs, les psychologues ont montré que des exigences parentales élevées poussant l’enfant au perfectionnisme ne déclenchent un perfectionnisme toxique chez l’enfant que si, par ailleurs, les parents manquent de chaleur affective. En d’autres termes, si vous êtes exigeant avec vos enfants, mais que vous les aimez chaleureusement, que vous respectez leurs erreurs et leurs éventuels échecs sans les mettre en difficulté, que votre amour pour eux est inconditionnel quels que soient leurs résultats, alors ils ne développeront pas de perfectionnisme toxique. Une fois les facteurs éducatifs mis en place, l’enfant est soumis tout au long de sa vie à une pression sociale le poussant à devenir de plus en plus parfait. Dès l’école, il est apprécié en fonction de ses résultats, et les enfants qui travaillent bien à l’école déclenchent une attitude plus empathique chez leurs enseignants.
Il en est de même des enfants sages à la maison pour qui les parents ont une attitude plus compréhensive. Le petit enfant a donc très vite intérêt à se conduire parfaitement chez lui et à l’école. Lorsqu’il arrive à la faculté, dans un monde de plus en plus exigeant, il a intérêt à décrocher un bon diplôme. Les études supérieures renforcent souvent son perfectionnisme. Par exemple, les études de médecine ne pardonnent pas la moindre erreur et, face à la difficulté des concours, les étudiants travaillent sans laisser le moindre détail de côté. Ils doivent tout savoir s’ils veulent avoir une chance de réussir.
Dans notre vie d’adultes, nous sommes envahis de messages publicitaires poussant au perfectionnisme, qu’il s’agisse de notre corps et en particulier de celui des femmes qui ne doit plus comporter la moindre once de graisse et avoir le « poids idéal ». Nous devons aussi afficher un bonheur extérieur envers nos amis, envers les autres — le bonheur obligé. Tout repose sur la notion de performance. Si elle est choisie et librement consentie, elle est tout à fait acceptable et positive. Mais si, elle devient une obligation, elle contraint le sujet à la réussite et, pour l’atteindre, il est obligé d’augmenter son niveau d’exigences.
Les messages contraignants impliqués dans le perfectionnisme
Certaines personnes seraient plus sensibles que d’autres à ces messages sociaux. Certaines ne se laissent pas prendre au piège, ne gardant que le bon côté de la notion de la performance. D’autres, au contraire, ont des filtres de pensées qui les poussent à toujours plus de perfectionnisme.
Ces personnes se fixent des impératifs en s’envoyant des messages contraignants : « Je dois tout réussir »; « Je dois être le meilleur »; « Aucun détail ne doit être laissé au hasard »; « Ce que j’obtiens n’est jamais suffisant ».
Ces personnes voient les choses en noir ou en blanc, pour elles une action est une réussite ou un échec ; l’intermédiaire n’existe pas.
Dans la mesure où la vie ne nous amène pas toujours à des réussites parfaites, elles sont très vite déstabilisées et se sentent parfois dévalorisées lorsque leurs résultats ne sont pas parfaits — même s’ils sont bons.
Ces personnes ont tendance à ne retenir que la perfection et à considérer tout le reste de leurs actions comme imparfaites. Il s’instaure donc très vite un déséquilibre, leurs exigences étant rarement atteintes dans la mesure où la perfection absolue est difficile à obtenir. C’est alors qu’au lieu de se dire qu’elles ont fixé la barre trop haut, elles réagissent en augmentant leurs exigences et leur perfectionnisme : « Oui, c’est vrai, j’ai bien réussi, mais j’aurais dû encore faire mieux. » Ce mécanisme cognitif du Oui-Mais est fréquent chez les perfectionnistes.
Ils doivent apprendre à se satisfaire de résultats moins parfaits. Qui plus est, ils pensent qu’ils doivent être parfaits jusque dans les moindres détails. Et le perfectionnisme envahit tout. Ils jugent leurs erreurs comme intolérables et ont tendance à se mettre en cause. Ces mécanismes cognitifs conduisent les perfectionnistes à se fixer des règles de vie intangibles pour réduire leur angoisse d’imperfection.
Les perfectionnistes se fixent notamment trois règles de vie : « Je dois être parfait pour me sentir valable ». Il s’agit d’un perfectionnisme narcissique, dit de valorisation : le sujet s’aime lorsqu’il réussit. Il doit avoir des réussites personnelles ou professionnelles pour se sentir valable.
Le perfectionniste peut aussi se dire : « Je dois être parfait pour être accepté socialement. » C’est le perfectionnisme d’intégration. Ces personnes souffrent souvent d’un manque de confiance en elles et redoutent d’être rejetées socialement. Ces sujets se comportent parfaitement pour se sentir acceptés par les autres. Au cours d’une soirée, ils ont tendance à avoir un discours conformiste, qui va dans le sens de celui des autres et évitent de s’opposer pour se faire bien voir.
Enfin, le sujet qui présente un perfectionnisme de contrôle cherche à éviter l’imprévu : il ne laisse aucune place à l’improvisation.
En fait, ces règles de vie tentent de compenser un préjugé d’infériorité ancré depuis l’enfance. Selon les psychothérapeutes, l’enfant aurait un sentiment d’infériorité qui serait renforcé très tôt par les messages scolaires lui disant « Tu peux mieux faire » et des parents ayant des exigences trop élevées. C’est pour lutter contre ce sentiment d’infériorité qu’il réagirait en étant parfait.
Cette explication rejoint le perfectionnisme de valorisation et d’intégration décrit précédemment.
Quels sont les risques que toutes ces contraintes imposées par les parents, par la société, par l’individu lui-même aboutissent à un perfectionnisme toxique ? Le perfectionnisme devient toxique surtout dans deux conditions : lorsqu’il est tellement important qu’il conduit la personne qui en est atteinte à des symptômes pathologiques, et qu’il envahit ceux qui entourent cette personne.
Quand le perfectionnisme devient une maladie
Malheureusement, lorsque le perfectionnisme devient toxique, il peut créer un certain nombre de troubles psychiatriques, essentiellement des états dépressifs, surtout des dépressions d’épuisement, et des troubles anxieux divers. Ce sont ces troubles qui conduisent les sujets à consulter. En effet, les perfectionnistes ignorent qu’ils sont perfectionnistes et que c’est ce perfectionnisme qui cause leurs troubles. De là l’importance de dépister le perfectionnisme derrière des troubles aussi divers que ceux qui ont été décrits. Souvent les perfectionnistes sont amenés en consultation par leur conjoint ou sur les conseils d’un collègue de travail. Ainsi, Bernard est un tyran. Il est chef d’équipe dans une grande entreprise et ne supporte pas que le travail ne soit pas bien fait. Il passe ses journées à tyranniser tous ces collègues. Bien sûr, Bernard explique que c’est pour le bien de tous et de l’entreprise, mais il est tellement perfectionniste que son supérieur lui a demandé d’être moins exigeant.
Dans leur couple, les perfectionnistes peuvent tyranniser leur conjoint en leur demandant sans arrêt de ranger ce qui traîne, de nettoyer… Plusieurs études ont montré que le perfectionnisme est la cause de nombreux conflits conjugaux, et qu’il faut savoir repérer le perfectionnisme lorsque les difficultés d’un couple sont importantes.
Comment le perfectionnisme peut-il entraîner des pathologies parfois graves ?
Le perfectionnisme de valorisation imposant une performance parfaite et permanente entraîne beaucoup de stress, une pression permanente, un rythme de vie anormalement élevé, une hyperactivité, ce qui aboutit à des dépressions d’épuisement. Et lorsque ce perfectionniste se retrouve en situation d’échec (car la perfection n’est qu’un mythe), il se dévalorise et perd confiance en lui. Quand le phénomène devient chronique, le sujet peut devenir dépressif : c’est la dépression par dévalorisation.
Le perfectionnisme d’intégration sociale conduit plutôt à l’anxiété sociale (une peur excessive du jugement négatif des autres). Le sujet évite les contacts sociaux et, si le phénomène s’amplifie, une phobie sociale avec évitement des contacts sociaux et isolement peut survenir.
Enfin, le perfectionnisme de contrôle et de maîtrise qui consiste à tout contrôler parfaitement conduit à des troubles obsessionnels compulsifs. Dans ce cas, les compulsions (les vérifications nombreuses) visent à éviter que le malheur redouté (dû à un oubli ayant des conséquences graves ou à une contamination) ne crée des dommages importants pour les autres.
Les obsessionnels sont des personnes hyper-responsables et qui croient en permanence qu’elles peuvent déclencher des catastrophes. C’est pourquoi, elles ont besoin de contrôler tous leurs faits et gestes et mettent en place des systèmes de ritualisation qui ne supportent aucune imperfection. Lorsque ce système de contrôle se centre sur l’image du corps et sur le poids, cela aboutit à des troubles du comportement alimentaire (anorexie mentale ou boulimie avec contrôle du poids par vomissements).
Quand on interroge les gens pour savoir s’ils considèrent le perfectionnisme comme un atout ou comme un inconvénient, les réponses sont en général partagées. En fait, le perfectionnisme peut être un atout lorsqu’il est raisonnable et n’envahit pas tous les champs de la vie quotidienne. En revanche, il peut devenir un piège paralysant quand il est omniprésent. D’où l’intérêt de savoir apprendre à gérer son perfectionnisme pour n’en garder que les bons aspects et en faire le meilleur usage possible.
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