182016Sep

Pourquoi est-il si difficile de changer ?

Pourquoi est-il si difficile de changer ?

Parfois nous connaissons ce qui nous rend malheureux et ne faisons pas ce qui pourrait changer. Pourquoi reproduire sciemment les mêmes erreurs ? Comment en finir avec ce scénario répétitif ?

Pourquoi ne changeons-nous pas, alors que nous sommes conscients des problèmes qui proviennent de la répétition des mêmes comportements ? 

Un scénario de vie est une situation piège dans laquelle un sujet se débat, sans succès, et qui se répète en de nombreuses occasions tout au long de la vie. La personne fait sans cesse la même chose, en espérant que les résultats vont être différents. Elle est entraînée dans la spirale descendante de l’insuccès, sans trouver la voie du changement. Ainsi, les femmes qui épousent et réépousent des hommes alcooliques aussi violents que leur père intempérant. Il n’est pas rare, aussi, de rencontrer un homme soumis aux ambitions familiales, qui, après une réussite sociale importante, fait une dépression avec un profond sentiment d’échec et d’imposture.


Un rôle distribué une fois pour toutes

Figée dans son personnage, la personne scénarisée va maintenir des relations stéréotypées et insatisfaisantes avec les autres. Surtout si ce rôle a une fonction dans un groupe, ou dans un couple qui met en scène un jeu sans fin. Ainsi la victime du devoir, la femme parfaite, le bouc émissaire, le loser, le battant, le macho, la victime, le violent, le séducteur, le séduit ou la séduite et abandonné(e)…


Des intrigues immémoriales

Les exemples, tous les jours, sont devant nos yeux, mais la littérature, l’opéra et le cinéma nous ont légué ces types psychologiques dans des récits répétitifs dont les similitudes sont masquées par le talent des artistes. Le Don Juan de Mozart, avec ses mille et trois conquêtes, représente l’image la plus visible de la répétition masculine. La Madame Bovaryde Gustave Flaubert avec ses rêves inaboutis a eu une longue postérité dans les mélos des années 1950 : en particulier Tout ce que le ciel permet de Douglas Sirk (1955), pastiché récemment, avec talent, par Todd Haynes dans Loin du paradis (2003). Elle est aussi l’ancêtre des Desperate Housewives. Friedrich Nietzsche avait très bien compris sa position centrale dans l’imaginaire collectif, lorsqu’il déclara : « Toutes les héroïnes de Wagner ressemblent à s’y méprendre à Madame Bovary ».

Un jour, le dramaturge italien Carlo Gozzi dit à Johann W. Goethe qu’il n’y avait que trente-six situations dramatiques : ce dernier s’en souviendra, longtemps après, dans ses conversations avec Johann P. Eckermann. Il ajoutera que Friedrich Schiller en avait trouvé moins. Un auteur français, Georges Polti, dans un livre paru en 1924, Les Trente-Six Situations dramatiques, a proposé une typologie de ces situations avec de nombreuses références à la littérature. Ce constat peut s’appliquer au cinéma, comme chacun pourra le voir en étudiant attentivement ses films favoris : la plupart des bons films sont des remakesde scénarios immémoriaux. Ainsi le film culte sur les gangs des rues de New York, Les Guerriers de la nuit (Walter Hill, 1979) n’est que le remake de l’Anabase de Xénophon (environ 401 av. j.-c.).

Au final, les scénarios se ramènent à ceci : la tragédie, qui se termine par un dernier acte sanglant, et la comédie, qui relate une crise dont le dénouement permet à la vie de repartir sur un autre pied. Mais comment expliquer le développement et le maintien des scénarios de vie ? Et, surtout, comment passer de la tragédie à la comédie ?


Psychologie des scénarios de vie

Trois concepts peuvent être dégagés de l’écoute des patients.

• Les intrigues des scénarios de vie portent la marque d’un type de personnalité : ce qui explique que le nombre des scénarios de films ou de romans possibles demeure limité, tout comme l’est le nombre des types de personnalité et l’interaction de ces personnalités entre elles.

• Chaque type de personnalité exprime des schémas profonds qui résultent à la fois du tempérament biologique, inné, des événements de la vie et de l’environnement familial et social.

• La répétition automatique du scénario, autrement dit « la machine infernale », nous amène à aborder le problème de l’inconscient sous un angle nouveau.


Trois inconscients

Les modèles actuels, issus des sciences cognitives, décrivent l’inconscient comme un ensemble de processus de traitement de l’information qui se déroulent de manière automatique. J’ai proposé de distinguer trois formes d’inconscients. Ces trois inconscients, bien que reliés, ont une origine et des fonctions différentes.

• L’inconscient biologique

Il correspond à l’activité neuronale automatique et au fonctionnement neuroendocrinien. Il sous-tend les processus cognitifs conscients et les émotions. L’action sur ce type d’inconscient peut être aussi bien pharmacologique que psychologique. Je ne développerai pas ce point ici, tout en soulignant que la psychobiologie de l’impulsivité représente une voie importante pour comprendre certains scénarios de vie : en particulier ceux liés aux addictions et à la répétition de la violence.

L’inconscient environnemental

L’inconscient environnemental est fait de notre éducation, mais aussi des traumatismes graves qui peuvent imprimer leur marque sur la personnalité de chacun. Les mythes et la culture façonnent les individus à leur insu. À cette régulation automatique par l’environnement s’oppose la notion d’autocontrôle et d’autodétermination. Il ne suffit pas d’augmenter la prise de conscience de ses motivations internes pour obtenir un changement, il faut aussi que chaque personne prenne conscience de ce qui de l’extérieur, parfois, la contrôle totalement. La théorie de l’apprentissage social d’Albert Bandura (2) propose de devenir l’ingénieur de son propre comportement. La majorité des psychothérapies a prôné l’insight, ou prise de conscience de ses propres motivations, tandis que la théorie de l’apprentissage social et les thérapies comportementales et cognitives (TCC) ont suggéré de développer l’outsight (3) : la prise de conscience de l’action de l’environnement sur soi, et corrélativement de la possibilité qu’a la personne de le modifier. C’est à partir de ces travaux que s’est développée la thérapie motivationnelle

• L’inconscient cognitif

Il correspond à l’ensemble de processus mentaux automatiques. Les modèles actuels accordent une place centrale à la notion de schéma cognitif. On définit le schéma comme une structure imprimée par l’expérience sur l’organisme, et qui va se combiner avec une situation ou une idée pour déterminer comment cette situation ou cette idée doit être perçue et/ou interprétée. Les schémas précoces inadaptés représentent des thèmes importants et envahissants pour l’individu. Ils sont constitués de souvenirs, d’émotions, de pensées et de sensations corporelles. Ils concernent la personne et ses relations avec les autres. Ils peuvent résulter d’expériences traumatiques, ou de carences affectives précoces répétées.

Ils se sont développés au cours de l’enfance ou de l’adolescence et complexifiés tout au long de la vie. Ils sont en relation avec cinq grands domaines de fonctionnement : séparation et rejet, manque d’autonomie et de performance, manque de limites, orientation vers les autres, survigilance et inhibition. Le schéma va se traduire par des stratégies individuelles d’adaptation et un style relationnel particulier. Ainsi le trouble de personnalité s’exprimera dans la répétition d’un scénario de vie. Par exemple, une personne qui se sent inférieure peut soit devenir égocentrique pour compenser (personnalité narcissique), soit se croire persécutée (personnalité paranoïaque), soit chercher la protection d’autrui (personnalité dépendante). Certaines personnes passent rapidement d’un mode de fonctionnement à un autre.


Souffrance, séparation : révision du scénario

Les schémas se maintiennent par l’évitement émotionnel et cognitif, mais aussi par la compensation, ou encore par la soumission aveugle à leur contenu. D’autres facteurs peuvent y contribuer : en particulier le renforcement par l’entourage. Par exemple, un homme peut se soumettre aux désirs d’une femme narcissique et adorée : celle-ci n’a donc aucune raison de changer son schéma. Des jeunes gens peuvent être subjugués au point d’imiter un modèle qui a la prestance enviée d’un trouble de personnalité antisociale réussissant dans le gangstérisme. Une femme dépendante peut subir les mauvais traitements d’un homme fantasque et imprévisible, en étant persuadée que c’est de sa faute : ce qui renforce l’homme dans ses comportements de prédateur. Dans ces trois cas, seules la souffrance ou la séparation amèneront à réviser le scénario.

Tous ces processus dysfonctionnels complexes de traitement de l’information émotionnelle commencent à être décryptés par la psychométrie et les neurosciences cognitives.

La thérapie cognitive aide les patients à modifier les interprétations dysfonctionnelles de la réalité, en séparant les faits de leurs interprétations. Elle utilise des méthodes aussi bien cognitives qu’émotionnelles, interpersonnelles ou comportementales pour augmenter les expériences positives. Utilisée avec succès dans la plupart des troubles psychopathologiques, elle s’est attachée ces dix dernières années au traitement des troubles de la personnalité. Plusieurs études contrôlées ont montré son efficacité dans ce cadre. Deux études récentes ont été effectuées pour le trouble borderline, marqué par l’impulsivité, l’instabilité émotionnelle, les fluctuations de l’identité, des épisodes dépressifs et des conflits avec les autres. Une étude contrôlée hollandaise (4), qui a utilisé la thérapie des schémas de Young (5), a montré, à trois ans de suivi, de meilleurs résultats que la thérapie psychanalytique. Une étude contrôlée qui associe les centres hospitaliers universitaires de Lyon et Marseille a montré quant à elle, sur deux ans de suivi, de meilleurs résultats avec la thérapie cognitive, qu’avec la thérapie centrée sur le client de Carl Rogers (6). Nous avions intégré dans la thérapie cognitive une conceptualisation et des techniques qui cherchaient directement à modifier les scénarios de vie. Il est donc possible d’aider le patient à mettre des mots sur l’expérience émotionnelle du schéma et à résoudre autrement les problèmes relationnels, afin de mener une vie digne d’être vécue.


NOTES :

(1) Jean Cottraux, La Répétition des scénarios de vie. Demain est une autre histoire, Odile Jacob, 2001.
(2) Albert Bandura, Autoefficacité. Le Sentiment d’efficacité personnelle, De Boeck, 2007.
(3) Michael Mahoney et Carl Thoresen, Self-Control : Power to the person, Brooks/Cole, 1974.
(4) Josephine Giesen-Bloo et al., « An outpatient psychotherapy for borderline personality disorder. Randomized trial of schema-focused therapy vs transference-focused psychotherapy », Archives of General Psychiatry, vol. LXIII, n° 6, 2006.
(5) Jeffrey E. Young, Janet S. Klosko et Marjorie E. Weishaar, La Thérapie des schémas. Approche cognitive des troubles de la personnalité, De Boeck, 2005.
(6) Jean Cottraux, « Cognitive therapy versus rogerian supportive therapy in borderline personality disorder: A two-year follow-up of a controlled pilot study », Psychotherapy and Psychosomatics, 2009.

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