192018Juin

La rupture amoureuse

LA RUPTURE AMOUREUSE 

En amour, il semble qu’il soit de plus en plus improbable de partir … et de se quitter… Bref, de claquer la porte. C’est en tout cas ce qu’affirme le psychothérapeute Jean Van HEMELRIJCK dans son livre La Malséparation (éd. Payot & Rivages).  A l’heure où notre société sanctifie la vie de couple et, plus généralement, l’hypersociabilité, la rupture serait-elle insupportable? 

La « malséparation », le nouveau fléau de notre société ? De notre siècle?

Jean Van Hemelrijck en est persuadé… Dans un monde précaire et individualiste, où le couple est devenu un Graal, rompre n’a jamais été si difficile. « Nous sommes quotidiennement matraqués de messages qui chantent les louanges de la conjugalité », déplore le psychothérapeute. « Inévitablement, cette pression rend l’étape de la séparation encore plus douloureuse qu’elle ne l’est habituellement. »  Peur de la solitude, de la vieillesse, du regard des autres, de manquer d’argent, de ne plus voir ses enfants…Les angoisses postruptures essaiment dans l’esprit des amours déçues ou blessées. Jean Van Hemelrijck observe ce comportement dans son cabinet depuis une dizaine d’années. Et le phénomène s’amplifie: la fin d’une relation se vit désormais comme un drame pouvant engendrer de graves conséquences psychiques telles que la dépression.  

Afin de se protéger ou de fuir la réalité, on se sépare physiquement, donc, mais pas psychiquement. « La malséparation consiste à maintenir le lien malgré tout, contre toute logique, à faire en sorte qu’une partie de la relation ne finisse jamais », précise-t-il. Quitte à épuiser les avocats, les médiateurs familiaux et les proches. Par chance, le bien-rompre, cela s’apprend, comme nous l’explique Jean Van Hemelrijck

La malséparation est-elle une résultante obligatoire de notre temps ?   

En cinquante ans, la mise en vente de la pilule contraceptive, la féminisation du marché du travail, la précarisation et l’abandon du divorce pour faute ont contribué à modifier les façons de se séparer. Le curseur n’est plus sur la communauté, le groupe, mais sur l’individu. Le « je » supplante le « nous ». Et le couple, lui, tourne à l’obsession. Il n’y a qu’à voir la frénésie avec laquelle les gens célèbrent et exhibent leur amour sur les réseaux sociaux. Notre société est ivre du « vivre à deux »

Quelles sont les conséquences de cette volonté d’être en couple coûte que coûte ? 

Lorsqu’une relation se termine, on court à la catastrophe. L’individu perd son espoir de stabilité, sa valeur refuge. Les ruptures amoureuses ont toujours été douloureuses, mais cette souffrance semble aujourd’hui décuplée, compte tenu de la place que notre société donne à la conjugalité. Un autre facteur qui favorise les malséparations est notre rapport à la temporalité. La rupture amoureuse n’est pas un état mais un processus, une trajectoire. Notre monde se gargarise de vitesse, et le couple, lui, est avant tout affaire de lenteur. 

Selon Jean Van HEMELRIJCK,  la vraie rupture est indispensable : elle aurait même, selon cet auteur, des bienfaits… 

Ils sont difficiles à énoncer, car chacun d’entre nous invente son couple à sa mesure. Cependant, l’absence de l’être aimé nous force à réinvestir notre espace psychique, notre imaginaire, notre capital de mémoire, et à retrouver en nous-même ce qui nous manque de l’autre. La seconde fonction de la rupture relève de larésilience, soit la capacité de rebondir, de retrouver l’envie de rencontrer, de construire une relation. 

Concrètement, comment passe-t-on d’une simple rupture à une « malséparation »? 

La rupture tétanise parce qu’elle catalyse un mouvement de panique intérieure. Ce n’est pas un simple retour en arrière. Celle-ci modifie profondément notre personnalité. Ni en mieux ni en pire, mais simplement en autre. Résultat: l’inconnu, la découverte d’un autre rapport au monde, d’un autre rapport à soi, peut faire peur. Certains couples vont donc instaurer un rapport de force, une sorte de conflit permanent. Même s’ils ne sont plus amoureux, le maintien artificiel d’un lien leur permet de ne pas s’effondrer. Tel est le mécanisme de la malséparation. 

Avez-vous un exemple? 

La relation entre François Hollande et Valérie Trierweiler peut faire cas d’école. En publiant Merci pour ce moment (éd. Les Arènes), elle a tenté d’entretenir ce lien entre eux en le provoquant et en le décrédibilisant. La non-réponse de François Hollande était à mon sens la meilleure attitude possible. 

La malséparation s’effectue-t-elle toujours dans le conflit? Quid de ces couples qui restent très proches après une rupture, et qui, par exemple, partent en vacances ensemble avec leurs enfants? 

En effet, la malséparation peut s’installer dans la douceur. Rester en de « trop bons termes » peut induire en erreur, mener à la confusion, surtout si le couple a des enfants. La rupture est d’abord un moment de différenciation. Elle nous oblige à nous confronter à une palette d’émotions et de ressentis, tels que la déception, la colère, la tristesse et la solitude.  

Une proximité excessive est une manière de reculer pour mieux sauter. Par exemple, prenez ces couples qui publient sur les réseaux sociaux des selfies pour célébrer leur divorce, ou d’autres qui organisent des « fêtes de divorce », pour marquer l’événement. C’est une amitié de façade. Tôt ou tard, les ressentis resurgissent. Il suffit de gratter le vernis.

Doit-on (ré)apprendre à rompre? 

Oui. Pour affronter psychologiquement la rupture, il faut créer un « mythe défondateur », lui conférer un ancrage narratif, qui éloigne les deux protagonistes de l’instant de la séparation. Souvent, les proches conseillent de « tourner la page« . C’est pourtant tout le contraire qui est indiqué. On ne doit pas faire table rase du passé, mais se l’approprier. Chaque histoire d’amour commence par « il était une fois », et chaque rupture doit se solder par « il était une fin ».  

Dès l’instant de la rencontre, un couple doit s’inventer une histoire d’amour, se créer un mythe fondateur pour asseoir son existence. Cette stratégie lui permet de se donner une architecture résistant aux aléas du quotidien. Se séparer suit le même schéma. Le couple en séparation a besoin d’écrire son histoire de désamour. Il faut détricoter, fil par fil, ce mythe fondateur que l’on s’est créé. Et apprendre à intégrer cette expérience de vie, dans son ensemble – la douleur, mais aussi les moments de bonheur -, à son capital biographique.  

Sur le moment, la rupture est synonyme de tristesse, de haine et parfois de trahison. Le bien-rompre passe d’abord par l’acceptation de ces émotions, puis par la distanciation, la prise de recul. Nous devons être capables, comme le disent les Anglo-Saxons, to see the big picture, d' »avoir une vue d’ensemble ». 

Quelle est alors la manière idéale de se séparer de son conjoint? 

Il n’y a pas de ruptures idéales. En revanche, il existe des ruptures « réussies ». Faites le test: quelques mois ou quelques années après une séparation, le hasard finit toujours par vous ramener à votre ancienne relation via une image, un mot, une impression de déjà-vu, une madeleine de Proust…Lorsque ces souvenirs enfouis refont surface, examinez votre réaction. Si vous n’êtes pas détruit ou annihilé par ce rappel du hasard, cela signifie que vous avez su faire votre deuil de la relation et que la séparation est réussie. En revanche, si vous êtes submergé par l’émotion, il reste encore du chemin à parcourir… 

Les hommes et les femmes sont-ils égaux face à la rupture? 

Au risque de contrarier les défenseurs du politiquement correct, nous n’avons pas le même rapport à la séparation. Les femmes font souvent preuve de plus de courage. Elles partent quand elles ne sont plus amoureuses, peu importe ce qu’elles ont à perdre. Pour les hommes, c’est une autre affaire. Leur ex reste encore « leur » femme. Ils développent souvent une forme de jalousie postérieure.  

Certains vont tout faire pour saboter la vie amoureuse de leurs ex-compagnes en maintenant des rapports conflictuels avec elles. Ils s’octroient un droit d’ingérence dans leurs relations et exercent sur elles un droit de propriété. D’autres mandatent les enfants pour lutter contre les nouveaux partenaires et rendre ainsi leurs relations impossibles.  

Mais il y a aussi les parents, les fratries, les amis, les collègues et les voisins. Le rôle de l’entourage est crucial: ces partenaires du processus sont porteurs de questions et de conseils. Leur participation est souvent chaotique, car ils prennent parti pour l’un des deux camps. De leur côté, certaines femmes peuvent elles aussi être très violentes au moment d’une séparation, mais d’une manière beaucoup moins spectaculaire que les hommes. 

La malséparation n’est-elle pas, au fond, le symptôme d’un mal plus général, d’une peur de la solitude dans une société avide de liens? 

 

Tout à fait, nous sommes dans un monde de l’hyperlien, où les relations doivent être constantes et absolues, comme si la solitude et l’absence de l’autre étaient une malédiction. Or l’être humain ne peut se construire qu’au prix de l’absence. Un enfant n’a pas d’autre solution que de se débrouiller lorsqu’il fait l’expérience banale de cette impossible condition humaine. 

La séparation conjugale est particulière, car elle nous rappelle nos vieilles blessures. Rien de grave, si ce n’est que notre société nous donne l’illusion que le maintien du lien est possible et que nous ne sommes jamais seuls. C’est une chimère.  

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