Qu’est ce que la violence conjugale ?
Le Harcèlement psychologique
Le harcèlement psychologique ne peut être réduit à une simple scène de ménage. C’est une authentique agression, désormais reconnue comme un délit et qui fait, depuis cet été, l’objet d’une loi sur les violences conjugales, visant à mieux protéger la victime.
Le harcèlement psychologique concernerait 8 % des femmes à des degrés plus ou moins graves d’après l’Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France » (Enveff) réalisée en 2000. Et depuis cet été, ce type de violence conjugale tombe sous le coup de la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 (J.O. du 10).
Une loi plus sévère contre le conjoint violent
Outre une ordonnance de protection, la loi fixe des peines d’emprisonnement assorties d’amendes sévères », explique Danielle Bousquet, députée, présidente de la mission d’évaluation de l’Assemblée nationale sur la loi contre les violences conjugales. Le texte crée le délit de « violences psychologiques au sein du couple » pour les « agissements ou les paroles répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de vie de la victime susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité ou d’entraîner une altération de sa santé physique ou mentale ».
Toutes preuves – mails, SMS, certificats médicaux, témoignages – doivent être prises en compte. Et surtout elles permettent aux victimes de sortir de l’isolement dans lequel le harceleur les enferme. En reconnaissant à ces femmes leur statut de victimes, la société les autorise à se dire : « Ce que je vis n’est pas normal. J’ai le droit de réagir. »
Une violence faite d’humiliations et d’injures
« Les bleus à l’âme ne se voient pas, explique la psychiatre Marie-France Hirigoyen, psychiatre et spécialiste du harcèlement psychologique. Cela ne les empêche pas d’être douloureux. Et criminels, car ils sont bien infligés dans le but d’anéantir l’autre. » Au quotidien, cette violence est faite d’humiliations, de dévalorisations répétées qui visent à rabaisser le conjoint.
Injures et dénigrement permanents « Tu pourris les enfants », « Tu ne sais pas faire cuire un œuf ». Rien à voir avec la scène de ménage, la dispute classique où l’un et l’autre s’envoient des horreurs. Dans le cadre du harcèlement psychologique, il n’y a pas de réciprocité. Aucune riposte n’est possible.
La victime y renonce pour ne pas provoquer d’escalade dans les insultes, dans les démonstrations de violence ou exciter la brutalité physique qui souvent n’est pas loin. De fait, toutes les violences verbales ne débouchent pas sur des coups, mais ces derniers sont toujours associés à un harcèlement psychologique. Pour faciliter son passage à l’acte, le violent a besoin de rabaisser sa cible, de prouver, à lui comme à elle, qu’elle mérite ce qu’il lui inflige, de la chosifier…
Des victimes submergées par la honte
De leur côté, les victimes finissent par intérioriser et accepter les arguments du dominateur. « Elles sont submergées par la honte de ne pas avoir résisté ou réagi dès le début », note Marie-France Hirigoyen. Mais aussi parce qu’elles n’ont pas d’autre choix, pour donner un sens à ce qu’elles vivent, que de trouver des justifications aux harceleurs et donc une part de vérité à ses reproches. Et ainsi le piège se referme… car il y a souvent une part de réalité dans les critiques.
Le harceleur est un spécialiste des renversements pervers qui consistent à présenter le faux de la même façon que le vrai. Il a le don pour saisir l’infime détail qui lui permettra de déformer la réalité pour justifier ses diatribes. Au point que la victime finit par douter d’elle-même et par s’accuser aussi : « C’est vrai, je n’aurais pas dû insister » ou « J’ai peut-être été blessante en disant cela ». In fine, c’est souvent elle qui demande pardon alors qu’elle vient de subir un déferlement d’injures.
Ce mécanisme est profondément toxique. La souffrance psychique des victimes est intense : des femmes normalement vives et gaies s’éteignent littéralement, perdent toute vitalité. Elles finissent par se voir telles que leurs conjoints les décrivent, abandonnent toute estime d’elles-mêmes et leur identité s’y dissout. Elles peuvent développer des troubles psychosomatiques, se réfugier dans les addictions aux tranquillisants, aux cigarettes, à l’alcool… Ou elles souffrent en silence, doutant de leur propre santé mentale à force de ne plus savoir ce qu’elles ont vraiment dit ou fait. Elles ne s’appartiennent plus et c’est l’objectif recherché par le harceleur. Quelle que soit sa personnalité, sadique, jaloux, froidement indifférent à la souffrance d’autrui, parfois capable d’une affection touchante ou à l’inverse plutôt distant, un point caractérise tous les auteurs de violences psychologiques : la recherche du contrôle, de l’emprise.
Certains ont une intime conviction de leur supériorité qui justifie tout ; d’autres, à l’inverse, ont une faible estime d’eux-mêmes et cherchent à la rehausser en enfonçant leur conjoint. « Les harceleurs ont pu être des enfants maltraités psychologiquement ou, au contraire, des enfants idolâtrés et élevés sans limites. Dans les deux cas, ils ont été chosifiés et ne savent pas fonctionner autrement », souligne Marie-France Hirigoyen.
Les harceleurs, des hommes en majorité
« Même si l’on trouve des femmes qui pratiquent le harcèlement, tout comme il existe des femmes qui battent leur conjoint, les harceleurs restent des hommes dans l’immense majorité des ca », note Suzy Rojtman, co-porte-parole du Collectif national pour les droits des femmes. Il existe des femmes toxiques et manipulatrices qui font vivre à leur conjoint le même enfer, « Tu n’es qu’un bon à rien », « Tu t’écrases tout le temps, pas étonnant que ton chef te prenne pour un déchet », et ces femmes-là encourent les peines prévues par la loi dans les mêmes conditions que les hommes harceleurs.
Mais il reste que, par son ampleur notamment, le harcèlement psychologique dans le couple est bien dans notre société ce que l’on appelle une violence « de genre « , comme le viol ou les coups, c’est-à-dire une violence qui s’exerce contre les femmes du fait même qu’elles sont des femmes. « Ce phénomène témoigne d’une mutation difficile des relations hommes/femmes dans la société et d’une forme de résistance des hommes à l’égalité entre les sexes », relève Suzy Rojtman. « Je reçois de plus en plus à mon cabinet des femmes qui, à diplôme égal, sont volontairement maintenues par leur conjoint dans un état d’infériorité par des brimades verbales, ou forcées de rester à la maison », témoigne de son côté Marie-France Hirigoyen.
La nouvelle loi sur les violences psychologiques ne sera sans doute pas simple à appliquer et elle fera sans doute l’objet de tentatives de récupération, « mais elle permettra à des milliers de femmes de mettre un nom sur ce qu’elles vivent, de réagir et d’oser chercher de l’aide », concluent les deux femmes.
Victimes, composez le 3919
Si vous êtes la cible de violences physiques ou psychologiques de la part de votre conjoint, appelez le 3919, Violences conjugales info (appel gratuit d’un téléphone fixe, du lundi au samedi, de 8 heures à 22 heures). Le 3919 est un numéro d’écoute anonyme géré par Fédération nationale solidarité femmes qui regroupe 65 associations (www.solidaritefemmes.asso.fr).
Vous y rencontrerez une écoute bienveillante par des conseillères professionnelles qui vous orienteront vers les services qui peuvent vous aider. Si vous ou vos enfants êtes en danger immédiat, appelez directement la police ou la gendarmerie en composant le 17.
Sortir de l’isolement
« Avant toute chose, il faut briser l’isolement dans lequel le conjoint manipulateur enferme toujours sa victime, conseille Isabelle Nazare Aga, psychothérapeute. Ne pas hésiter à renouer avec famille, amis et avec toute personne qui peut enfin vous renvoyer une autre image, plus positive, de vous-même ».
« Ensuite, il faut se faire aider par un psychothérapeute compétent sur le harcèlement, qui ne se contentera pas de la traditionnelle écoute bienveillante mais proposera un soutien actif, à travers un véritable échange et vous apportera une aide très concrète : ‘Il vient enfin de partir, c’est bien, mais avez-vous changé les serrures ? Avez-vous porté plainte ?' », poursuit la psychothérapeute.
« Mentalement, les victimes de violences psychologiques n’ont plus de forces, elles souffrent d’une inhibition comportementale, souligne Isabelle Nazare Aga. L’urgence alors n’est pas de chercher des explications à la situation dans l’enfance de la victime mais de lever sa peur d’agir, de la sortir de la paralysie. Cela se fait par une prise en charge comportementaliste : par exemple, le psychothérapeute peut proposer des jeux de rôle pour préparer la patiente à des situations bien réelles. Son action est assez proche de celle d’un coach ».
« Et surtout, il faut travailler sur l’affirmation et l’estime de soi de la victime qui a été délibérément sapée par le harceleur. Ainsi, je propose à mes patientes de noter chaque jour une qualité dont elles ont fait preuve ce jour-là. Cela fait du bien. Enfin, les thérapies de groupes sont recommandées pour les premières prises de conscience car elles mettent à jour les mécanismes universels de la manipulation et permettent de comprendre que l’on n’est coupable ni de ce qui est arrivé, ni de vouloir en sortir », conclut Isabelle Nazare Aga.
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